Le virage vers l’auto-inspection inquiète

Les inspecteurs de l’Agence canadienne d’inspection des aliments craignent des cas de contamination.
Photo: Renaud Philippe Le Devoir Les inspecteurs de l’Agence canadienne d’inspection des aliments craignent des cas de contamination.

Le syndicat Agriculture, qui représente les inspecteurs fédéraux des viandes, observe une pénurie d’inspecteurs au Canada, et le Québec ne fait pas exception. Des inspecteurs de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) dénoncent le virage amorcé par le gouvernement conservateur visant à réduire leur nombre pour plutôt mettre la responsabilité de l’inspection entre les mains des entreprises.

À partir de sources internes à l’ACIA, le syndicat a vérifié le nombre d’inspecteurs exigé dans les abattoirs et usines de transformation au Québec, selon les taux fixés par l’Agence. Une trentaine d’inspecteurs manquent à l’appel pour atteindre ce minimum.

Les inspecteurs sont obligés de « tourner les coins ronds », déplore Bob Kingston, président du syndicat. « Ils sont désormais responsables de plusieurs établissements. Donc, s’il y a un problème dans l’un d’entre eux, les autres sont moins surveillés », renchérit Jaquelin Carrier, inspecteur fédéral depuis 38 ans et vice-président régional de l’Est du Québec du syndicat. Ses collègues et lui font beaucoup d’heures de travail supplémentaires, ajoute-t-il.

Guy Gravelle, porte-parole de l’ACIA, indique que « le nombre d’inspecteurs à l’ACIA [a] augmenté de 19 % depuis 2007 ». Le syndicat attribue la hausse à la contamination chez Maple Leaf Foods, qui avait entraîné une augmentation du nombre d’inspecteurs. Dans les années suivantes, le nombre d’inspecteurs a recommencé à baisser, dit-il.

M. Gravelle précise que le nombred’inspecteurs sur le terrain « peut varier en raison […] de l’ouverture et de la fermeture d’établissements agréés par le gouvernement fédéral. » L’effectif d’inspection de l’Agence sur le terrain peut donc varier durant l’année, et ce, « jusqu’à 5 %, ou 150 à 200 inspecteurs », précise-t-il.

M. Carrier constate que le gouvernement de Stephen Harper modifie la réglementation pour transférer des responsabilités de contrôle qualité et de vérification aux compagnies. « Elles vont s’auto-inspecter. C’est plus risqué, car [la qualité de l’inspection] dépend du degré de professionnalisme des compagnies », observe M. Carrier.

À l’aveugle

Les normes d’inspection sensorielle du poisson ont changé depuis le 1er décembre 2014, donne-t-il en exemple. « L’inspection sensorielle du poisson est maintenant contrôlée entièrement par les entreprises. L’inspecteur de l’Agence doit toutefois signer le certificat pour que le produit soit exporté. Donc on signe pour quelque chose que l’on n’a pas inspecté ! »

L’inspecteur d’expérience estime qu’il devient de plus en plus difficile de repérer des irrégularités en raison des nouvelles normes. « Dans les lieux d’abattage de poulet,les inspecteurs vérifient 40 poulets par quart de travail, sur parfois 60 000. On a peu de chances de tomber sur une irrégularité », dénonce-t-il.

M. Carrier observe la baisse de vigilance dans l’inspection des viandes au quotidien. « Quand j’ai commencé comme inspecteur, on vérifiait une fois par semaine la conformité de tous les départements et tous les appareils, outils, tables d’inspection, etc. Aujourd’hui, on le fait une fois par mois. »

Il note aussi qu’auparavant, s’il observait une irrégularité dans la production, les opérations de l’usine étaient arrêtées jusqu’à ce que tout redevienne conforme. « Aujourd’hui, si on remarque quelque chose, la production continue. On doit seulement émettre une demande d’action corrective à la compagnie, que nous acceptons ou non. Je trouve que c’est dangereux. »

Certaines irrégularités doivent même ne plus être prises en compte par les inspecteurs. « Les inspecteurs fédéraux des viandes ne s’occupent plus de la contamination fécale. C’est laissé à la responsabilité de la compagnie. Si je vois passer de la matière fécale sur un coeur ou un foie, je ne peux rien dire. Je ne peux qu’espérer que quelqu’un de la compagnie le voie. Et j’en vois tous les jours ! »

L’ACIA n’a pas commenté le transfert des compétences aux entreprises observé par le syndicat.

Nouvelles compressions à venir

Selon les projections de l’ACIA, obtenues par le syndicat, le gouvernement canadien réduira les dépenses en sécurité des aliments de 21 %, ce qui entraînera l’abolition de 548 postes au pays. À la veille du dépôt du budget fédéral, Bob Kingston invite le gouvernement à embaucher plus d’inspecteurs plutôt que de supprimer ces postes.



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