Le filon des coupons

À la télévision, les couponneuses extrêmes donnent tout un spectacle. Pas étonnant que les émissions sur le sujet, comme Extreme Couponing à The Learning Channel (TLC) et Jamais sans mes coupons ! à Canal Vie, se régalent de leur obsession. Les participantes exhibent leur sous-sol garni comme un dépanneur, cumulent assez de détergents liquides et de Tic Tac pour survivre aux deux prochaines décennies, arrachent des liasses entières de coupons dans les allées du supermarché avec l’énergie du désespoir et vident les tablettes sans scrupule.
En réalité, la majorité des collectionneurs de coupons n’ont rien en commun avec ces déchaînées. Les coupons qu’ils engrangent, ils les jumellent astucieusement aux articles en vente pour obtenir le tout pour une fraction du prix courant — ou, mieux, gratuitement.
Même Lili Marchand et les collectionneurs membres de sa communauté virtuelle, On magasine, ont honte de cette démesure qui ternit l’image des consommateurs recherchant les rabais. « On ne veut pas être associées à des folles, à des bunkers. On veut montrer que les coupons servent à mieux consommer, et non à surconsommer », dit l’enjouée créatrice du premier site spécialisé québécois. « L’objectif de faire du couponnage n’est pas d’avoir 18 000 rouleaux de papier de toilette dans la maison, au cas où il y aurait une fin du monde. C’est de réaliser de belles économies selon nos besoins et d’en faire profiter les autres », insiste cette consommatrice éclairée.
Mère et bachelière en sociologie, Lili a développé On magasine il y a trois ans et demi pour informer les Québécois à la recherche de bonnes affaires. À l’époque, elle avait tout à apprendre, mais sa plateforme étendue sur Facebook lui a permis de partager les aubaines et les coupons avec les consommatrices — elle utilise le féminin puisque sa communauté est en grande majorité féminine.
Une trentaine de nouveaux membres s’ajoutent chaque jour à son groupe Facebook depuis ses débuts (des gens aisés autant que des étudiants) et alimentent les conversations. Le site est aussi le repaire où les consommateurs peuvent accéder en quelques minutes à toutes les aubaines de la semaine que Lili a dénichées en épluchant les circulaires et le Web.
« Mon but est d’éviter que les gens se ramassent dans les banques alimentaires, explique celle qui paie rarement son spaghetti plus de 50 sous et ses boîtes de céréales plus de deux dollars. Plusieurs femmes monoparentales fréquentent mon site et me disent qu’elles sont heureuses de pouvoir faire leur épicerie et de mettre sur leur table un déjeuner qu’elles ont elles-mêmes acheté. Le couponnage permet de redonner la fierté aux gens. »
Les coupons en hausse
Phénomène en plein essor, le couponnage commence à peine à être quantifié. La pratique est surtout répandue dans les villes de la banlieue éloignée, en deuxième couronne. Au Québec, l’utilisation des coupons a crû de 11 % entre 2013 et 2014, selon une étude publiée par Nielsen.
D’après les propriétaires des bannières Maxi et Maxi Cie, où l’ajout de coupons aux prix déjà avantageux permet de réaliser des économies encore plus substantielles pour les amateurs de rabais, l’utilisation de coupons a presque triplé dans ses magasins depuis 2012.
Les coupons ne datent pas d’hier, Coca-Cola ayant créé le premier bon pour un verre gratuit en 1887. « Ce qui a changé, remarque Lise Gagnon, vice-présidente marketing, recherche et développement chez Olymel, c’est que les réseaux sociaux ont rendu les coupons plus accessibles », permettant aux manufacturiers de mieux cibler et fidéliser la clientèle et, à l’inverse, aux consommateurs de faire rayonner ces aubaines.
Avec son portail virtuel, le supermarché Metro a remarqué que les coupons numériques et personnalisés pour chaque utilisateur obtenaient un taux de rédemption très élevé par rapport aux taux de l’industrie du détail, mentionne Geneviève Grégoire, conseillère aux communications chez Metro. La section des coupons est d’ailleurs l’une des plus populaires dans le site.
Même si 65 % des Québécois disent utiliser les coupons pour économiser, certaines personnes sont par contre intimidées à l’idée de les sortir en public. Plusieurs applications permettent de réaliser des économies sans recourir aux coupons de papier. C’est le cas de Zweet, Snap et Cartsmart, qui offrent des remises en argent sur des produits sélectionnés en scannant la facture d’épicerie, et ce, valide dans n’importe quel commerce. « On peut ainsi payer moins cher en toute discrétion, mais cela a un prix, car l’application ramasse plein de données sur les habitudes de consommation », note toutefois Lili Marchand.
Alors que les sites de couponneuses foisonnent et que des coaches de coupons émergent, Lili Marchand estime que s’intéresser aux coupons et comprendre l’écosystème est plus simple qu’on le pense. Elle fournit d’ailleurs plusieurs outils dans son site. Une fois que le consommateur est piqué, il ne voit plus du tout les aubaines de la même manière, devient plus critique, plus renseigné, pense-t-elle.
Avec toutes les fraudes de coupons, les vols de Publisacs et les commandes extravagantes des couponneuses les plus voraces, Lili Marchand se fait la gardienne du bon sens. Dans On magasine, elle et sa communauté n’hésitent pas à épingler les « Bougons » qui ternissent l’image des collectionneurs de coupons raisonnables, d’une part pour encourager une pratique plus sensée et aussi pour faire en sorte que l’hystérie des unes ne vienne pas endommager la relation mutuelle qu’entretiennent les consommatrices avec les manufacturiers et magasins.
« Les rabais reviennent toujours, alors il ne faut pas capoter, conclut l’experte. Après tout, ça ne sert à rien d’acheter 50 brosses à dents, dit Lili Marchand. Au lieu d’avoir de l’argent qui dort sur les tablettes, pourquoi ne pas mettre de côté l’argent économisé pour partir en voyage ? Là, on en a pour son argent ! »