Du sirop de riz qui s'habille en sirop d'érable

Le sirop de riz de marque Bernard se présente dans un contenant qui rappelle la conserve de sirop d’érable. «C’est un produit légal, certes, mais dans sa mise en marché, on peut croire qu’il cherche à tromper», dit Serge Beaulieu, de la Féd
Photo: Le sirop de riz de marque Bernard se présente dans un contenant qui rappelle la conserve de sirop d’érable. «C’est un produit légal, certes, mais dans sa mise en marché, on peut croire qu’il cherche à tromper», dit Serge Beaulieu, de la Féd

Inquiétude dans le monde de l'érable. Tout en attendant l'arrivée du temps des sucres au Québec, les producteurs de sirop d'érable s'étonnent de l'apparition sur le marché, depuis quelques jours, d'une centaine de milliers de canettes contenant un ersatz du célèbre liquide, symbole de l'hiver québécois. Un substitut tout à fait légal, à base de sirop de riz, mais qui, selon eux, a quelques attributs pour tromper les consommateurs.

Le consommateur se fait-il duper? La Fédération des producteurs acéricoles du Québec a déploré hier l'apparition sur le marché d'un sirop de table qui pourrait être pris pour du sirop d'érable biologique. Près de 100 000 conserves de ce produit à base de sirop de riz sont actuellement en circulation et risquent de «tromper» les amateurs de sucre, croit le président du regroupement.

«C'est un peu dommage. Ce produit se présente dans le même genre de conserve qu'on utilise depuis des années pour le vrai sirop d'érable, a indiqué hier au Devoir Serge Beaulieu, également acériculteur dans le coin d'Huntingdon. Le consommateur a l'impression d'acheter du sirop d'érable. Mais il se retrouve face à une imitation. C'est un produit légal, certes, mais dans sa mise en marché, on peut croire qu'il cherche à tromper.»

Au coeur d'une vaste promotion du temps des sucres dans le réseau des épiceries Loblaws, Provigo et Maxi, ce sirop de table en format de 540 ml de marque Bernard, un important transformateur de sirop d'érable au Québec, se présente uniquement comme un «sirop certifié biologique». L'étiquette expose une photo de crêpes aux fruits généreusement nappées de sirop. Le mot «érable» n'est jamais utilisé, mais une feuille d'érable aux couleurs automnales apparaît toutefois en trame de fond.

Ce substitut est également, à l'aube de la saison annuelle de l'érable, mis en vente dans les épiceries en compagnie de véritables produits de l'acériculture, comme des petits cornets au sucre et autres variations sur le même thème. La liste des ingrédients permet toutefois de constater que la conserve ne contient que du sirop de riz, du jus de canne, de l'essence d'érable naturelle, du sirop de sucre caramélisé et à peine 5 % de sirop d'érable.

«Tous les magasins sont avisés qu'il ne s'agit pas de sirop d'érable, a commenté hier Yves Bernard, président d'Industrie Bernard et fils et créateur de ce nouveau produit. On leur demande même d'indiquer qu'il s'agit d'un succédané de l'érable. Pour nous, c'est clair: c'est un sirop de table qui s'approche le plus du sirop d'érable. Rien d'autre.» Il reconnaît toutefois que la présence d'une feuille d'érable sur la conserve est «une erreur de notre part», a-t-il indiqué. «Nous allons l'enlever.»

M. Bernard, dont l'entreprise produit annuellement de 15 à 20 millions de livres de sirop d'érable, se défend bien de chercher à leurrer sa clientèle en commercialisant son produit dans un format similaire à celui qui est utilisé depuis des lunes pour l'authentique sirop. «Il y a une pénurie de sirop d'érable en ce moment, justifie-t-il. Tout le monde attend la production de 2009, et le prix de ce qui reste des autres années est très élevé. Pour beaucoup de consommateurs, ce n'est plus un produit abordable», un problème que le sirop de table Bernard viendrait désormais résoudre. Il est vendu environ 6 $, contre plus de 10 $ actuellement pour une conserve de vrai sirop d'érable.

En raison d'une faible production en 2007 et 2008, les acériculteurs ne sont plus capables aujourd'hui de répondre à la demande. Pis, les réserves de sirop d'érable au pays se sont complètement évaporées dans les dernières années, ce qui a engendré du coup un état de pénurie qui a marqué à la hausse le prix de ce produit. Pour les transformateurs comme M. Bernard, cette crise de l'offre force aujourd'hui à «faire preuve d'imagination pour rester en activité», indique-t-il. «J'ai bâti une usine de 5,5 millions de dollars, j'ai 40 employés et je dois, dans un contexte de récession, garder tout ça en vie», ajoute l'homme d'affaires pour justifier le lancement de son sirop biologique.

Pour la cuvée 2009 des sucres, qui devrait sérieusement prendre son envol dans les prochaines semaines, les acériculteurs ont effectué trois millions de nouvelles entailles dans les érables afin d'augmenter leur capacité de production, pour un potentiel maximal de 102 millions de livres. L'an dernier, cette limite avait été fixée à 92 millions, mais les aléas de la nature n'ont fait couler qu'environ 58 millions de livres de sirop d'érable, et ce, pour des consommateurs qui, partout sur la planète, en voudraient deux fois plus.

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