Montréal dans l’oeil de réfugiés

Ils étaient douze, fiers d’exposer leurs photos de Montréal vendredi dernier. Des photos qui montrent la beauté de la banalité du quotidien, loin des bombes qui déchirent le ciel de la Syrie, ce pays qu’ils ont fui.
En arpentant Montréal avec son appareil photo, Motasem, un jeune réfugié syrien de 18 ans, a commencé à se sentir chez lui dans sa nouvelle ville. « J’ai aimé découvrir la ville et sa beauté. Certains dépanneurs et certaines épiceries me rappelaient la Syrie. »
D’autres découvertes peuvent s’avérer plus amères. En regardant sa photo de feux d’artifice, Mayyar, 16 ans, voit son passé resurgir : « Ici, les feux d’artifice représentent des célébrations. Mais dans d’autres pays, ça peut être le signe de la guerre ou de bombes. »

Au cours des six derniers mois, Motasem, Mayyar et dix autres jeunes réfugiés syriens ont documenté leur vie au Québec dans le cadre du projet photographique Premiers flashs, mené par une photographe montréalaise d’origine syrienne, Amina Jalabi, et SINGA Québec, une association pour aider les réfugiés dans leur intégration.
Inspirée par le concept de photovoice, développé par des Américains dans les années 1990 pour permettre aux communautés marginalisées de raconter leur propre histoire à travers la photographie, la photographe voulait donner une voix aux réfugiés.
SINGA Québec a fait de son idée une réalité en convainquant la Maison de la photographie de Montréal et World Press Photo Montréal de les aider et en se faisant prêter des appareils photo.

La cofondatrice du projet, Marwa Khobieh, qui oeuvre à l’Alliance canadienne d’aide aux Syriens, explique avoir parfois eu du mal à trouver des jeunes. « Il fallait les convaincre, parce qu’ils venaient juste d’arriver, et tout ça était nouveau pour eux. »
Le courage de photographier
Le défi était de taille entre la timidité et les inquiétudes face à un nouvel environnement. Pour certaines des filles, les transports en commun étaient intimidants et elles n’osaient donc pas sortir de leurs quartiers.
Les organisatrices ont emmené le groupe au Musée des beaux-arts et au Biodôme, ou encore se promener dans le Vieux-Montréal pour les encourager à « sortir de leur zone de confort », selon Mme Khobieh.

Comme certains n’osaient pas prendre des photos de leur quotidien, SINGA Québec a aussi envoyé une lettre aux écoles pour les informer de l’atelier afin que les jeunes soient rassurés à l’idée de sortir leurs appareils photo dans leurs lieux de cours.
Si certains se sont vite prêtés au jeu, comme Asem qui prenait plus de 300 photos chaque semaine, Jalabi est aussi fière d’autres jeunes qui ont pris confiance en eux.
« Une des participantes m’a remis seulement 40 photos à la fin [de notre atelier], mais j’étais très contente parce qu’elle était très timide. Alors, qu’elle ait fait ça d’elle-même, prendre des photos et documenter sa vie, ça me rend heureuse », confie Jalabi.

Fierté
Rania, 14 ans, s’est prise de passion pour la photographie. « Maintenant, j’ai décidé que je voudrais être photojournaliste », dit-elle, après s’être essayée aux photos artistiques de nature, aux égoportraits, mais aussi à des photos plus intimes de sa famille.
Son père, Adnan Al Maheed, se réjouit du parcours de sa fille ces derniers mois.
« Elle adorait ça, prenait son appareil et sortait avec. C’était beau pour moi de voir ma fille participer à ce projet, se souvient-il. Les fins de semaine, ils étaient dehors ou au centre-ville à prendre des photos. »

Plus qu’un projet artistique, Premiers flashs, a créé des liens entre les participants, les organisatrices et leur nouvelle maison, le Québec.
« Pendant les ateliers, on avait des discussions de groupe sur les photos et ce à quoi ça leur faisait penser, par exemple sur l’eau, relate Amina Jalabi. J’ai remarqué que beaucoup d’entre eux prenaient des photos de lacs. Alors, on a parlé de la Méditerranée, des gens qui se noient parce qu’ils essayent de partir et du fait qu’ici, l’eau, c’est sécuritaire. »