Le gouvernement doit cesser de se moquer de la diversité
Moins d’une semaine après le fiasco de la vidéo du 375e de Montréal, une campagne de sensibilisation au « vivre-ensemble » intitulée *Ensemble, nous sommes le Québec a été présentée en début de semaine par le Ministère de l’Immigration, de la Diversité et l’Inclusion et montre que certains enseignements essentiels n’ont pas été tirés. En effet, cette campagne présente des carences déconcertantes en matière de juste représentativité des membres de notre société et fait l’impasse sur des enjeux de premier plan en matière de lutte contre les préjugés et le racisme. Ainsi, à défaut d’objectifs clairement énoncés, cette campagne projette une image sans ambiguïté de ce que devrait être un-e immigrant-e modèle.
Le modèle d’assimilation du/de la bon-ne racisé-e/immigrant-e
Ces deux spots publicitaires véhiculent une image du bon immigrant qui ne doit plus seulement apprendre le français mais également connaître « toutes les répliques de RBO ». Le bon racisé n’est pas juste un bon joueur de soccer mais il doit aussi jouer au hockey. Cette vision clichée et assimilationniste occulte ce qui constitue véritablement la citoyenneté : les efforts déployés au quotidien, les enjeux liés à l’emploi, à l’éducation et à la culture, l’engagement communautaire et civique des personnes immigrantes et racisées. Force est de constater que l’essentiel de ce qui fait de ces personnes des citoyennes et des citoyens à part entière est totalement ignoré dans ces spots.
La négation du racisme est un déni de la réalité de plusieurs québécois-es
La seule référence à la discrimination vient de Patrice Bernier. Il se rattrape aussitôt dans la vidéo pour affirmer que ses filles, elles, « n’auront pas ce problème », puisqu’on serait à présent « habitués » à la diversité. Est-il bien vrai qu’on est « habitués » à la diversité, à l’ère où l’on craint encore une enseignante portant le hidjab, car l’on présume de son influence négative sur nos enfants ? Surtout, l’habitude n’est en aucun cas gage d’égalité.
Absence et invisibilisation des musulman-e-s
Le fait que les Québécois-es de confession musulmane ne soient pas inclus dans cette campagne, est complètement incompréhensible et dénote un fossé entre les politiques et les réalités de notre société. Particulièrement à l’heure où ces Québécois-es sont la cible de stigmatisations dans les médias et dans les sphères politiques. Alors que des mosquées se font vandaliser, que l’on agresse publiquement des femmes portant un foulard, que les personnes avec un nom à consonance arabe ou sub-saharienne sont parmi les plus discriminées à l’embauche, la négligence de valoriser leur présence et leur apport citoyen ne fait que les invisibiliser et renforcer les préjugés puisqu’ils ne font pas partie de ce « nous » québécois.
Quel processus a mené à la production de cette campagne ?
Nous avons eu la curiosité de vérifier la composition de l’équipe qui a conçu et produit ces deux spots. La diversité de l’équipe des sous-traitants n’a apparemment pas été un critère de sélection. L’une des bonnes pratiques pour contrer le racisme systémique aurait été d’accorder de l’importance à la diversité des professionnel-le-s travaillant pour des compagnies mandatées par le gouvernement. Une autre bonne pratique aurait été de soumettre le travail à l’avis des personnes concernées. Dans ce cas précis, il semble que les personnes racisé-es aient été victimes d’un impair grossier. Imaginons un instant une campagne contre la violence faite aux femmes, conçue exclusivement par une équipe constituée d’hommes : le message manquerait cruellement de sincérité et de cohérence.
Le temps n’est plus à l’interculturalisme de façade
Une campagne publicitaire qui renforce les stéréotypes en rapportant des banalités et en se contentant d’une diversité de façade ne peut contribuer à une lutte sérieuse contre le racisme, encore moins à promouvoir le « vivre ensemble ». En effet, le racisme systémique est un phénomène qui touche plus d’un million de Québécois-es. Il brise et il isole et il est plus que temps que le gouvernement se ressaisisse. Au-delà des slogans, il est plus qu’urgent qu’il démarre un travail de fond pour contrer toute forme de racisme et de discrimination et qu’il fasse preuve d’un engagement durable en mettant les moyens nécessaires et en se concertant avec les personnes concernées. Nous sommes fatigué.e.s d’être instrumentalisés pour des gains électoraux !
Une vraie campagne de sensibilisation devrait marquer les esprits, pointer les failles, interpeller et transformer les mentalités et les pratiques. Continuer à parler de diversité en évoquant le folklore et la gastronomie est un signe d’inconscience politique. Sans un discours politique clair qui évoque la responsabilité sociale de tou-te-s face au racisme, nous ne parviendrons jamais à une société juste et exempte de racisme et de discrimination. L’apport des personnes racisées est incontestable et l’actualité politique internationale ne peut qu’inciter le Québec à être original et à donner l’exemple d’une société juste. De plus, les actions gouvernementales, payées par le contribuable, devraient au moins viser l’efficacité.
Parallèlement à cette campagne, le gouvernement devrait mettre en place sans plus attendre une commission publique sur le racisme systémique avant le mois d’avril 2017. Cette commission, si elle n’est pas une procédure de façade, devrait permettre de comprendre et documenter le phénomène, d’évaluer l’urgence et d’agir en mettant en place un plan d’action multisectoriel qui toucherait la santé, le milieu du travail, la justice, l’éducation, la culture, la sécurité, etc.
Les Québécois-es méritent plus qu’une diversité de façade. Ils et elles méritent une société où les personnes autochtones, les personnes racisées et toutes celles issues des minorités ont un rôle de premier plan. Car le vivre ensemble qui nous est si cher n’a de sens que dans une réelle égalité. L’heure n’est plus aux mièvres discours sur le vivre-ensemble. Le temps est venu d’assumer ce que notre peuple est.
Signataires :
Yves Alavo
Mohamed Amine
Dalila Awada
Khadija Baker
Rudy Barichello — Cinéaste et auteur
Fouzia Bazid
Ferhat Behidj
Christian Bélanger
Chedly Belkhodja — professeur à Université Concordia
Marisa Berry Méndez
Samuel Blouin
Isabelle Boisclair
Charles Bottex
Haroun Bouazzi — AMAL-Qc
Rachid Boudjarane — Regroupement des Algériens du Canada
Daisy Boustany
Samia Bouzourene — La VOIEdesFemmes
Sophie Bronner
Julie Chateauvert
May Chiu — militante contre le racisme et avocate
Ryoa Chung — département de philosophie — Université de Montréal
André Cloutier
Alexa Conradi
Marc Desjardins
Abdelaziz Djaout
Tharae Douiri
Marie-Hélène Dubé, avocate
Sasha Dyck
Imene El-Mohri
Khaled Faraj — Fédération des Canadiens Musulmans
Batoul Farhat
Marie-Josée Forget
François Fournier
Solo Fugère
Valentina Gaddi
Thomas Gallezot
Ihsaan Gardee — Conseil National Des Musulmans Canadiens
Anne-Marie Gill — recherchiste et analyste en culture — retraitée.
Perig Gouanvic
Fanny Guérin
Wassyla Hadjabi
Mohammed Hammouya
Naïma Hamrouni
Houda Hatem
Alexander Heggie
Asmaa Ibnouzahir — Collective des féministes musulmanes du Québec
Selma Idjeraoui
Marjorie Jean-Pierre
Stella Jetté
Naoual Laaroussi
Marie Lafrance
Jean -Baptiste Lamarche
Ricardo Lamour
Justine Laurier
Patrick Lemay
Emmanuelle Lippé — Documentariste
Marlihan Lopez — Fondation Paroles de femmes
Samer Majzoub — Forum musulman canadien (FMC-CMF)
Bochra Manaï
Ianik Marcil — économiste
Mathieu Marion — professeur — Université du Québec à Montréal
Siegfried L. Mathelet
Maha Mawassi
Zeina Mawassi
Kerlande Mibel
Mohamed Mimoun
Ludvic Moquin-Beaudry — professeur de philosophie — cégep de Saint -Jérôme
Johanne Morrisseau
Christian Nadeau
Minh Nguyen
Emilie Nicolas
Andréanne Pâquet
Maryse Potvin, Professeure, UQAM
Wolfgang Prigge
Will Prosper — Documentariste et militant des droits civiques
Jérôme Pruneau — Diversité artistique Montréal (DAM)
Nadia Reguigui — AMAL-Qc
Victor Alexandre Reyes Bruneau
Charline Robert-Lamy — candidate à la maîtrise en études féministe — UQAM
Houda Rochdi
Linda Roy
Ted Rutland — Professeur — Université Concordia
Hanadi Saad — Justice Femme
Michel Seymour — département de philosophie — U de M
Ramzi Sfeir — Club Jean Jaurès
Mohamed Shaheen
Ann Smart
Takwa Souissi — journaliste
Mathieu St-Onge
Jennie-Laure Sully
Saaz Taher
Hicham Tiflati
Eve Torres — LaVOIEdesFemmes
Dalia Tourki
Amel Zaazaa — Collectif Hoodstock