Immortel Sol - Un grand vide

Le clown Sol dans le plus récent spectacle de Marc Favreau, Prêtez-moi une oreille à tentative, en février dernier, au Théâtre Gesù. Une nouvelle série de représentations était prévue pour février 2006.
Photo: Jacques Grenier Le clown Sol dans le plus récent spectacle de Marc Favreau, Prêtez-moi une oreille à tentative, en février dernier, au Théâtre Gesù. Une nouvelle série de représentations était prévue pour février 2006.

Marc Favreau, mort?! La nouvelle est tombée samedi soir, nous laissant incrédules, abasourdis et consternés, avant que la tristesse ne nous rejoigne. L'homme attachant qu'il était a disparu, emporté rapidement par un cancer. Mais le personnage qui a conquis le coeur des petits et des grands restera avec nous.

La surprise a été d'autant plus grande que Marc Favreau devait présenter de nouveau son plus récent spectacle, Prêtez-moi une oreille à tentative, à Montréal et en province à compter de février 2006. Joint au téléphone, Alain Stanké qui a été son éditeur avant de devenir son ami était encore sous le choc: «J'ai toujours pensé qu'il ne mourrait jamais, qu'il était immortel, comme Guy Mauffette. Ces gens-là laissent un vide dont on se relève difficilement...», avouait-il, bouleversé.

Pourquoi le public aimait-il tant Sol? Peut-être parce que son créateur nourrissait un immense respect pour ce public, préférant le genre d'humour qui fait appel à l'intelligence. «Le public ne s'y trompe pas», disait Marc Favreau dans une entrevue accordée au Devoir; «il est beaucoup plus futé qu'on ne le croit généralement. Il ne faut surtout jamais sous-estimer les spectateurs en pratiquant un rire trop facile, ce qui est malheureusement le cas d'un certain courant humoriste actuel.»

Dans la vingtaine, Marc Favreau avait suivi une formation en dessin commercial. Mais captivé par la littérature et pressentant en lui d'autres talents, il s'est bientôt inscrit comme étudiant à l'École du Théâtre du Nouveau Monde en 1950. Deux ans plus tard, cet élève doué y décroche un premier prix de comédie. Après deux autres années d'études en interprétation à Paris, il revient au Québec où il amorce une carrière de comédien au théâtre ainsi qu'à la télévision où on a pu le voir dans diverses séries. Mais c'est surtout la mémorable émission quotidienne destinée aux enfants et intitulée La Boîte à surprise qui le fera connaître.

À l'origine de Sol, il y a Claude Fournier qui a créé le personnage pour donner un compagnon à Bim (à qui succédèrent par la suite Bouton, puis Gobelet), le clown joyeux incarné par Louis de Santis dans La Boîte à surprise, au milieu des années 50.

Claude Fournier travaillait alors à la section jeunesse de la télévision de Radio-Canada. «J'avais été inspiré par les jeux de langage de Lewis Caroll et par Estragon et Vladimir, les deux cloches d'En attendant Godot, de Samuel Beckett. Marc Favreau a complètement endossé le personnage de Sol», explique Claude Fournier; «il l'a si bien développé et tellement assimilé que j'ai du mal à penser à lui autrement qu'en Sol. De Sol ou de Marc Favreau, on ne sait pas lequel était le plus vrai». Selon lui, l'héritage de Marc Favreau consiste en une sorte d'humour très particulier, jamais grossier, jamais vulgaire, et qui fait réfléchir. «L'homme était épris de justice, d'un grand sens moral, et il avait beaucoup d'esprit. Il a touché des sujets profonds, philosophiques, et a beaucoup évolué depuis ses premiers spectacles. Son amour de la langue, sa façon de l'utiliser et de la préserver tout en la faisant évoluer a également fait évoluer notre pensée. En ce sens, il demeurera un exemple extraordinaire», affirme Claude Fournier.

Sol pour tous

Au début des années 70, Marc Favreau décide de tenter l'aventure de monter sur scène en solo et de s'adresser aux adultes, pour le plus grand plaisir de ceux-ci qui l'ont toujours suivi. L'absurdité rafraîchissante de ses raisonnements, sa gestuelle expressive et ses géniales jongleries verbales ont fait de lui un personnage théâtral à part entière. Observateur ironique de tout ce qui l'entoure sous son froc rapiécé, héros du langage à sa manière, Sol se révèle un fin critique de sa société.

Depuis plus de 30 ans, Marc Favreau n'a jamais vraiment cessé d'incarner Sol; l'automne dernier, il reprenait son plus récent spectacle Prêtez-moi une oreille à une tentative.

En dépit de cette longue expérience, le trac ne l'a jamais abandonné; «Quand on est fiancé avec Adrénaline, c'est pour la vie», disait-il. Son plus gros trac, il avouait l'avoir connu en Europe, au Festival d'Avignon, en 1977, où il a obtenu un succès aussi remarquable qu'inattendu. Par la suite, on lui a proposé bien des publicités, dont une pour une campagne électorale libérale; il a toujours refusé pour rester libre de critiquer qui il voulait quand il voulait, attentif à ne pas «brûler le personnage», expliquait-il.

De petits contes philosophiques

La linguiste Marie-Éva De Villers trouve passionnante la manière dont Sol a su exploiter les ressources multiples de la langue française, un peu comme l'a fait Raymond Devos. «Marc Favreau était un vrai prestidigitateur; son personnage de Sol est un être délicieux et poétique qui a le don de réunir des mots, d'inverser des syllabes de façon tout à fait inattendue et de nous surprendre par ces associations improbables. On peut dire qu'il a réinventé la langue avec un immense pouvoir créateur.» Marie-Éva de Villers ne le qualifierait pas d'humoriste, mais plutôt de penseur dont le matériau est la langue. «Un penseur qui veut amuser, mais surtout faire réfléchir. En ce sens, je le comparerais volontiers à Molière qui tient des propos graves sous des dialogues qui font rire. Les monologues de Sol ressemblent à de petits contes philosophiques.»

Esprit divergent, médecin de l'esprit

Alain Stanké a connu Sol par la télévision, quand ses enfants se sont mis à écouter Sol et Gobelet. Par la suite, les deux hommes se sont rapprochés lors de la publication des monologues de Sol chez Stanké. «En voyant ses spectacles, j'ai immédiatement eu envie d'en publier les textes, car je voulais qu'on puisse jouir de chaque trouvaille verbale», raconte Alain Stanké qui se souvient de Marc Favreau comme d'«un homme nerveux, anxieux, qui allumait gitane sur gitane, un homme sensible et très touchant, doué d'un sens de l'observation hors du commun, de cet esprit divergent qui lui faisait voir les choses de façon tout à fait inédite». Alain Stanké apprécie que le succès ne lui soit jamais monté à la tête malgré l'immense popularité qu'il a connue, aussi bien en Europe francophone qu'ici. «Il a su s'accorder des périodes de ressourcement entre ses spectacles, le temps de prendre le pouls des événements, de réfléchir sur les problèmes sociaux, de s'informer sur les causes qui lui tenaient à coeur, comme celle de la protection de l'eau et de l'environnement. Pour moi, il demeurera comme un philosophe et un médecin de l'esprit», conclut-il.

Heureusement pour nous, plusieurs documents demeurent, qui permettront à tous d'apprécier l'exceptionnel talent de Marc Favreau et de goûter son art. «Mes sketchs ne sont pas ponctuels, c'est pourquoi ils sont valables longtemps», remarquait-il avec justesse, dans une entrevue au Devoir. Le livre Presque tout Sol contient la majorité de ses monologues. Intitulé Simplement Sol, un coffret de trois DVD réunit quatre spectacles: Je persifle et je singe, ainsi que le spectacle en trois épisodes Sol, le retour aux souches, qui comprend Les Îufs limpides, La Plainte aquatique et Le Fier Monde. Un supplément Joyeux anniversaire Sol complète le coffret.

Marc Favreau a reçu de nombreuses récompenses tout au long de sa carrière; en 1989, on lui remettait la médaille de l'Ordre des francophones d'Amérique; en 1995, il a été nommé Chevalier de l'Ordre national du Québec. En 1999, le prix Georges-Émile-Lapalme qui souligne une contribution remarquée à l'amélioration de la langue française au Québec, lui avait été attribué.

Collaboratrice du Devoir

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