Florence Montreynaud - Qu'il est doux d'être féministe au Québec

Florence Montreynaud
Photo: Florence Montreynaud

Elle l'a dit tout au long de son séjour ici: «Le Québec, c'est ce qu'il y a de plus proche du paradis féministe!»

Et Florence Montreynaud s'y connaît. L'historienne française, auteure encensée de l'encyclopédie Le XXe siècle des femmes — d'abord parue en 1989 et qui en est à sa cinquième édition —, milite dans le mouvement féministe depuis 1970.

Déjà connue, elle deviendra carrément célèbre lorsqu'elle crée, en 1999, le mouvement des «Chiennes de garde». Le groupe manifeste masqué de têtes de chiens pour protester contre les (fréquentes!) insultes à caractère sexuel lancées contre les femmes qui occupent, en France, d'importantes fonctions publiques.

Un an plus tard, Mme Montreynaud fonde un autre groupe, «La Meute», qui lutte spécifiquement contre les publicités sexistes. Et l'an dernier, elle lance le réseau «Encore féministes!», pour rappeler que le mouvement a encore toute sa raison d'être.

Une femme aussi engagée ne pouvait que suivre ce qui se passait au Québec. Et c'est ce que Florence Montreynaud faisait depuis des années. Mais elle n'y était jamais venue. Jusqu'à la semaine dernière où elle a été invitée à participer au lancement du plus récent numéro de la Gazette des femmes, qui pose la question: «Vaut-il mieux être femme en France ou au Québec?» Match nul, répond le magazine du Conseil du statut de la femme.

«Je trouve qu'elles sont très diplomates», constate l'invitée, amusée. Car au cours de ses quelques jours ici, elle n'a pu s'empêcher de dresser la liste de ce qu'elle a apprécié et qui lui fait dire que le Québec s'en tire haut la main.

Elle a aimé qu'on la présente spontanément comme écrivaine, avec un gros «e». Que les journalistes ne la traitent pas comme une rescapée des temps anciens. Et que des lieux publics portent des noms de femmes («En France, il n'y en a que pour Jeanne d'Arc et Marie Curie!»), ou que le militantisme de base existe toujours. Elle assure aussi que notre féminisme d'État est ce qu'il y a de mieux, tous pays confondus.

Et puis dans la rue, au resto, avec les étudiantes, personne n'a sursauté quand elle se présentait en tant que féministe. «J'arrêtais des gens dans la rue et je leur disais que j'étais une chercheuse féministe en voyage au Québec et que j'étais égarée. Et pour tout le monde, c'était très bien!»

L'«adelphité»

Surprise aussi de constater qu'il est possible ici qu'un homme gagne moitié moins que sa femme — chose inavouable en France. Et qu'hommes et femmes ne se sentent pas continuellement tenus de sexualiser leurs relations. Elle a même inventé un mot pour désigner cette façon d'être: l'«adelphité», qui témoigne d'un rapport d'égalité.

«Ici, je peux parler aux hommes comme humains, pas comme si j'étais en train de les draguer. C'est tellement reposant! En France, tout est sexualisé. Il est du devoir d'un homme de faire la cour aux femmes qu'il croise, même s'il n'a aucune intention d'aller plus loin. Ça fait partie du code, sinon ce n'est pas un homme. Et dans la vie courante, c'est sans arrêt des sous-entendus entre hommes, que les femmes doivent faire semblant de ne pas comprendre.»

Français et Françaises appellent cela de la séduction, et ils y sont terriblement attachés. Florence Montreynaud, elle, y voit plutôt un vernis qui ne cache que du machisme. Les femmes s'y plient parce qu'il est tellement rassurant de s'en tenir à des comportements connus.

Les Québécoises — peut-être à cause de leur passé de pionnières qui les a rendues fortes, avance Mme Montreynaud — ne participent pas à ce jeu de la minauderie généralisée. Elles sont plus à l'affût aussi des dérapages sexistes.

Enfin, presque. Car la militante française a eu une grosse déception durant son séjour: vous avez vu les pubs? «Depuis que je suis descendue de l'avion, à ma grande déception, je vois des femmes nues pour vendre n'importe quoi! Moi qui m'étais inspirée de vos luttes contre la publicité pour créer Les chiennes de garde...»

Tenir la garde haute

Conclusion: baissez la résistance et le sexisme revient au galop! Florence Montreynaud a donc décidé d'agiter les troupes avant de reprendre l'avion. Elle assure que, sous peu, le Québec aura sa Meute pour rappeler que la sexualisation du corps des femmes doit encore se dénoncer. Tout un combat à l'heure où même les fillettes de sept ans ont droit à leurs «strings», comme nous l'apprenait récemment un quotidien montréalais!

«Le corps est un nouvel instrument d'esclavage, soupire la militante. Ce que les femmes ont voulu libérer est devenu notre prison. Le corps n'est pas quelque chose que nous avons l'honneur d'habiter mais un objet que l'on maltraite pour correspondre à des modèles. Et ce corps-marchandise, ce corps exploité dans la publicité, c'est au fond le même vaste sujet que la pornographie et la prostitution.»

Car pour elle, la trame de fond est la même: le droit des hommes à acheter le corps de jeunes femmes qui ne les désirent pas. «C'est le sujet central du féminisme, dit-elle, forte d'années d'études sur la question. Tant qu'un corps sera utilisé comme une chose, on ne pourra pas dire que nous avons obtenu l'égalité.»

Le mouvement féministe est pourtant déchiré face à la prostitution. C'est un métier qui peut être librement choisi, disent plusieurs. Florence Montreynaud, 54 ans, connaît très bien l'argument.

«Mais je suis assez vieille maintenant pour avoir vu les premières travailleuses du sexe, celles de la révolte des prostituées en France en 1975. Elles disaient: "Nous sommes libres, indépendantes..." Des années après, quand elles ont arrêté, elles nous ont dit: "Comment avez-vous pu me croire?" Je n'ai jamais oublié cette phrase.»

Elle l'a souvent réentendue depuis. Et il n'y pas là de paradoxe, dit-elle. Rien de plus normal qu'une femme dont le corps est transformé en marchandise cherche, par les mots, à garder une certaine estime d'elle-même. Il est plus étonnant que des féministes acceptent sans broncher qu'on leur dise que faire 20 pipes par jour, c'est un métier. Car la sexualité, argumente-t-elle, devrait être la rencontre de deux désirs: pas l'un qui s'impose à l'autre. Comment peut-on croire qu'il est possible de consentir à son propre abaissement?

Il n'est d'ailleurs pas plus acceptable, à ses yeux, que les femmes se payent un beach boy, comme le font de plus en plus de touristes dans les pays chauds. Homme ou femme, un prostitué ne sort jamais indemne d'une telle relation, martèle Florence Montreynaud. Et celui ou celle qui paie est strictement dans une logique de domination.

Et qu'on ne lui dise pas que la prostitution est le plus vieux métier du monde. L'argument n'a pour fonction que de faire croire que ça devrait durer toujours, dit-elle. Mais l'histoire est tout autre. «La sexualité, dit-elle, c'est un besoin, mais pas un besoin primaire. Avant de faire l'amour, il y a le besoin de manger, se vêtir, avoir chaud. Toutes ces fonctions ont entraîné des métiers. La prostitution est venue bien après...

«En fait, le plus vieux métier du monde des femmes, c'est certainement sage-femme!», souligne avec un grand sourire l'historienne.

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