Au Sahel, la famine est tombée du ciel

Aujourd'hui, comme le dit la géographe Sylvie Brunel1, «les famines ne tombent pas du ciel». Sauf peut-être au Sahel. Les crises alimentaires contemporaines les plus sévères sont, avant tout, liées à des facteurs politiques. Comme en Corée du Nord, où le dernier régime stalinien de la planète affame sa population, mais aussi au Zimbabwe, où la réforme agraire mise en oeuvre par le régime de Robert Mugabe a précipité l'ancien «grenier à blé» de l'Afrique australe dans le chaos. Dans les années 80, Médecins sans frontières (MSF) avait été expulsé d'Éthiopie pour avoir dénoncé les déplacements forcés de populations par les autorités, à l'origine d'une famine destructrice.

Rien de tel au Niger, un des pays les plus pauvres de la planète, situé dans une région déshéritée, le Sahel. Au cours des trente dernières années, rappelle l'association SOS Sahel, la pluviométrie y a diminué de 30 %, et le désert progresse à vue d'oeil. La crise actuelle y résulte de la conjonction exceptionnelle de deux facteurs: un déficit hydrique structurel, majoré par l'invasion des criquets pèlerins de l'été 2004. Elle touche aussi, mais dans une moindre mesure, le Mali et le nord du Burkina Faso.

Dès l'automne, les autorités de Niamey avaient tiré la sonnette d'alarme, relayées par les Nations unies: le pays, disaient-ils, se dirigeait vers une grave crise alimentaire. Mais leur appel n'avait pas été entendu. Il a fallu que les premières images de petits corps décharnés apparaissent sur les écrans de télévision pour que les bailleurs de fonds débloquent une partie des sommes demandées par les Nations unies. Début 2005, quelques semaines après le tsunami en Asie, le coordonateur de l'aide humanitaire de l'ONU Jan Egeland déclarait craindre un effet boomerang: l'émotion suscitée par la tragédie en Asie risquait, selon lui, d'assécher la générosité internationale envers d'autres pays ou régions en difficulté. Inquiétude, hélas, prémonitoire.

«Nous n'aurions pas dû laisser autant d'enfants mourir au Niger», a récemment déploré le même Jan Egeland. Car, quand elle se mobilise à temps, la communauté internationale peut sauver les populations menacées de famine. En 2002, le pire avait été évité en Afrique australe, où une quarantaine de millions de personnes étaient en danger, grâce à la distribution massive (et à temps) de nourriture par le Programme alimentaire mondial (PAM).

Marché local

Le gouvernement du Niger est-il pour autant exempt de toute critique? À Niamey, des organisations de la société civile ont stigmatisé son «insouciance», lui reprochant de n'avoir pas su anticiper le drame et de refuser des distributions gratuites de nourriture. Le président de MSF, Jean-Hervé Bradol, l'a accusé dans nos colonnes d'être «main dans la main avec les gros commerçants». «Dès le mois de mars, des marchands locaux ont acheté des denrées à prix modérés, avant de les stocker pour les revendre en faisant une plus-value», confirme un humanitaire. Les autorités ont affirmé ne pas vouloir déstabiliser le marché local. Mais pour Julien Clémençot, de SOS Sahel, le gouvernement a sans doute commis «une erreur de jugement» en sous-estimant l'ampleur de la crise: «Quand les gens meurent de faim, les distributions gratuites s'imposent.»

En dehors des périodes de crise aiguë, la question de la viabilité d'un marché local n'en reste pas moins cruciale. Selon Sylvie Brunel, «la régulation de la crise alimentaire va se faire par le fait qu'en interne des populations qui n'ont pas accès à l'alimentation vont pouvoir retrouver cet accès à la nourriture par le jeu de l'offre et de la demande». À cet égard, l'effondrement des cours des produits agricoles en Afrique, doublé du dumping causé par les subventions à l'exportation au nord, fragilise les pays pauvres et prépare les famines de demain. Au Sénégal, le célèbre poulet bicyclette concurrencé par le poulet congelé européen moins cher a disparu des étals et ruiné des filières entières. La suite est connue: exode rural, pauvreté urbaine et... malnutrition chronique.

1. L'Afrique, Sylvie Brunel, Éditions Boréal, 2004.

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