La Cour suprême déboute les Micmacs

Les Micmacs ne détiennent aucun droit sur les forêts du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, a tranché hier la Cour suprême dans une décision unanime causant la stupéfaction chez les autochtones.

Selon la Cour suprême, la coupe de bois ne faisait pas partie des activités traditionnelles exercées par les Micmacs il y a 250 ans. «Les traités de 1760-61 ne confèrent pas aux Micmacs d'aujourd'hui un droit de couper du bois sans observer la réglementation provinciale», tranche l'ultime cour de justice au pays.

Chez les autochtones, c'est la consternation. Les Micmacs s'appuyaient sur l'arrêt Marshall, une décision historique de 1999 grâce à laquelle ils ont pu s'adonner à la pêche commerciale pour assurer leur subsistance. En évoquant l'existence d'un droit ancestral sur les ressources forestières de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, ils croyaient que la Cour suprême leur permettrait l'exploitation commerciale du bois sans les autorisations requises par la loi.

«Ce n'est pas la décision que nous attendions, mais ce n'est pas la fin de la bataille», a déclaré Reginald Maloney, un ancien dirigeant de l'Assemblée des chefs micmacs. «Nous sommes déçus que la Cour suprême nous impose le fardeau de la preuve pour faire reconnaître nos droits. C'est un fardeau impossible [à supporter]. Ce sera très difficile pour les Premières Nations de faire du progrès au sujet de leurs droits dans ce pays», a-t-il ajouté.

La Cour suprême ne nie pas la logique ayant présidé à l'élaboration de l'arrêt Marshall, la pierre d'assise des revendications autochtones. Elle continue d'affirmer le principe selon lequel les droits issus de traités ne sont pas figés dans le temps. «Les activités traditionnelles sont maintenant pratiquées de façon moderne», écrit la juge Beverley McLachlin. Cette interprétation évolutive des traités évite de «restreindre indûment les droits ancestraux simplement du fait des changements économiques ou technologiques».

Encore faut-il que les autochtones aient pratiqué l'activité en question avant la signature des traités avec les colonisateurs blancs. Dans les deux litiges, les Micmacs prétendaient que des traités signés à partir de 1760 leur conféraient un droit de récolter et de vendre toute ressource naturelle qui servait à leur subsistance. Au moment de signer ces ententes avec la Couronne britannique, ils utilisaient le bois pour se chauffer, fabriquer des traîneaux ou des raquettes. Selon leur compréhension du dossier, l'exploitation forestière représente donc l'utilisation moderne de ces mêmes ressources, et elle est par conséquent protégée par les traités.

La Cour suprême résiste à ce raisonnement simpliste qui reviendrait à dire que les Micmacs d'aujourd'hui ont le droit de se livrer à l'exploitation forestière à des fins commerciales parce que leurs ancêtres ramassaient du bois en 1760.

Dans les traités en question, les Britanniques s'engageaient à établir des postes de traite (ou maisons de troc) où les Micmacs pouvaient échanger leur production artisanale. En revanche, les autochtones consentaient à faire commerce avec l'Angleterre seulement, afin de miner l'influence de leurs anciens alliés français. «Le droit conféré n'est pas le droit de récolter en soi, mais le droit de commercer, en conclut la Cour suprême. On ne met pas l'accent sur les produits qui étaient utilisés, mais sur les activités commerciales que les parties envisageaient au moment de la conclusion des traités.»

En accord avec les principes édictés dans l'arrêt Marshall, l'exploitation forestière, pour être permise, doit constituer «l'équivalent moderne ou une évolution logique» des usages que les Micmacs faisaient du bois en 1760. C'est loin d'être le cas.

Lors des procès en première instance, des témoins experts et autochtones ont convenu que les Micmacs ont commencé l'exploitation forestière vers 1780, une vingtaine d'années après la signature des traités. Il ne s'agissait donc pas d'une activité traditionnelle micmaque mais bien européenne.

Revendications incertaines

Selon un avocat du gouvernement, Mitch Taylor, le jugement de la Cour suprême pourrait porter un dur coup aux revendications autochtones dans l'exploitation des mines, du pétrole, du gaz et d'autres ressources naturelles à travers le pays. Bien que le jugement ne concerne que les Micmacs de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, il précise les balises de ce que constitue une évolution logique des pratiques ancestrales.

Les Micmacs n'abandonnent pas la partie pour autant. George Ginnish, le chef de la réserve Eel Ground (Nouveau-Brunswick), a indiqué qu'un autre recours similaire sera intenté afin de faire reconnaître le titre des Micmacs sur les forêts de la Couronne.

La Cour suprême n'a pas accordé aux Micmacs un titre aborigène sur les forêts dans les présentes affaires, faute de preuves. Elle a laissé toute cette question en suspens. En common law, l'occupation physique d'un territoire fait preuve de sa possession. Si la notion subsiste en matière de revendications autochtones, elle ne représente pas un critère déterminant. Le mode et la nature de l'occupation du territoire par les Premières Nations devraient aussi servir à définir la norme nécessaire pour établir un titre aborigène, permettant de considérer les occupations nomades et semi-nomades. «La preuve de l'occupation devrait donc être établie, non pas par une preuve d'utilisation intensive et régulière du territoire, mais à l'aide d'éléments des traditions et de la culture du groupe qui le relient à la terre», suggère la Cour suprême.

L'arrimage de la common law et des conceptions autochtones au chapitre des revendications territoriales reste à faire.

La Cour suprême s'interroge enfin sur l'opportunité de débattre des traités autochtones, des droits ancestraux et des titres aborigènes dans le cadre de procès criminels.

Les causes en litige ont commencé par des infractions aux lois provinciales, en apparence banales, lorsque Josuah Bernard, Stephen Frederick Marshall et une trentaine de bûcherons ont coupé du bois, sans autorisation, sur des terres de la Couronne. «Il fait peu de doute que les questions de droit à trancher dans le cadre des revendications des droits ancestraux sont beaucoup plus vastes que l'accusation criminelle elle-même, et que le processus pénal n'est ni adéquat ni approprié pour l'examen de ces revendications», écrit le juge Louis LeBel.

Les revendications autochtones devraient être débattues devant les tribunaux civils, quitte à suspendre les accusations criminelles jusqu'à la résolution du litige constitutionnel, suggère M. LeBel.

Avec la Presse canadienne

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