4000 personnes réclament le droit à un statut normal

Protégés contre un renvoi imminent parce que le Canada juge que leur pays est trop dangereux, 4000 ressortissants se retrouvent coincés depuis des années dans un vide juridique parce que Ottawa leur refuse un statut de résident permanent, a dénoncé hier le Conseil canadien pour les réfugiés (CCR), qui réclame d'Ottawa qu'il régularise une fois pour toutes leur situation après trois ans de «purgatoire».

Le CCR estime qu'il est immoral de retarder davantage l'intégration de ces personnes, qui sont ainsi privées de nombreux droits fondamentaux, certains depuis déjà plus de dix ans. «Personne ne devrait être obligé de mettre sa vie en suspens. Tant notre humanité que nos propres intérêts nous dictent qu'on doit accorder le statut le plus tôt possible aux personnes qui ne seront pas renvoyées», a déclaré hier la directrice du CCR, Janet Dench.

Le Canada admet lui-même qu'il ne peut décemment renvoyer ses ressortissants dans des pays où règne une grande insécurité. Voilà pourquoi il a mis en place un moratoire empêchant tout renvoi en Afghanistan, au Burundi, en République démocratique du Congo, à Haïti, en Irak, au Liberia, au Rwanda et au Zimbabwe.

Vivre comme un homme libre

Le hic, c'est que ce moratoire en place, Ottawa a choisi de ne pas aller plus loin. Résultat: 4000 ressortissants doivent aujourd'hui se contenter d'un statut de résident temporaire parce qu'on leur a refusé le statut de réfugié. Une situation que plusieurs jugent intenable, raconte le Zimbabwéen Themba Ngulube.

Arrivé ici il y a déjà quatre ans, ce dernier a lancé un véritable cri du coeur hier: «Laissez-moi devenir un homme libre!» Selon un rapport du CCR rendu public hier, les mots de Themba Ngulube ne sont pas exagérés. Dans Des vies en suspens, le CCR expose toutes les conséquences qu'a le vide juridique sur le quotidien des ressortissants.

Le fait d'être résident temporaire empêche ces ressortissants de faire venir leurs proches auprès d'eux, restreint leurs perspectives d'emploi, leur ferme les portes de l'éducation supérieure à moindres coûts, les prive de l'accès aux soins de santé urgents et les empêche de quitter le Canada, sous peine de ne plus pouvoir y revenir.

Le CCR réclame que les personnes originaires de ces huit pays obtiennent le statut de résident au terme d'une période de trois ans passés au Canada. «Trois ans dans les limbes, c'est amplement suffisant. Plus, c'est du gaspillage», estime Janet Dench.

Au pays depuis plusieurs années déjà, ces ressortissants se font chaque jour refuser des droits fondamentaux qui sont pour eux des privilèges inaccessibles en raison d'un numéro d'assurance sociale qui débute par un neuf pour rappeler la précarité de leur état. «Avec le neuf sur son NAS, on ne peut même pas signer un bail, on ne peut même pas avoir une ligne téléphonique», dénonce Jean-Moïse Djoli au nom de l'Association des juristes et étudiants congolais en droit au Canada.

À l'évocation de ce fameux chiffre neuf, Themba Ngulube s'emballe à son tour. «Quand votre NAS débute par un neuf, il y a bien des choses qui vous sont refusées. Plusieurs portes se ferment. Où est le sens de l'égalité que le Canada se targue d'avoir?», demande-t-il, visiblement en colère.

Arrivée à Montréal en 2001, Dorothy Dubé se sent elle aussi piégée. «Avec ce moratoire, nous restons prisonniers car nous sommes incapables de mener notre vie comme les autres même si, comme eux, nous payons des impôts et nous travaillons», raconte la Zimbabwéenne.

Un gaspillage humain

Coordonnateur à la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes, Richard Goldman connaît ce discours par coeur et s'en inquiète. «Pourquoi attendre une crise comme celle qui a forcé les gouvernements à régler le statut des Algériens? Pourquoi ne pas aller de l'avant maintenant?»

Selon M. Goldman, il n'est pas bon de maintenir autant de gens dans l'impuissance aussi longtemps. Tous les organismes qu'ils représentent de même que le CCR savent combien cette politique mène à un gaspillage de vies humaines, mais aussi à un gaspillage pour la société, qui ne bénéficie pas de leur plein potentiel.

Au CCR comme à la Table de concertation, tous aimeraient voir mis en place un programme semblable à celui qui a été concocté par Québec et Ottawa quand le moratoire sur l'Algérie a été levé en 2002, suscitant la grogne et le mécontentement. À l'époque, 93 % des quelque 1000 Algériens soumis à l'expulsion s'étaient vu accorder leur résidence permanente.

Désireux de prévenir une pareille crise, le CCR estime qu'il est temps que le gouvernement se dote d'une politique qui ferait en sorte que les ressortissants qui sont soumis à un moratoire obtiennent leur résidence permanente après trois ans si la situation est toujours la même dans leur pays.

Mais Ottawa reste plutôt froid à leur demande. «Nous avons soulevé cette question auprès du gouvernement, mais on nous répond qu'il ne s'agit pas d'un dossier prioritaire parce qu'il manque de ressources pour régulariser le statut d'autant de personnes», a expliqué Mme Dench.

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