Cour suprême - Décisions attendues sur le droitdes autochtones d'exploiter les forêts
La Cour suprême publie ce matin deux jugements qui seront déterminants pour les autochtones revendiquant un droit d'exploitation des forêts du Canada.
Le plus haut tribunal du pays déterminera si les droits ancestraux des autochtones s'étendent à la récolte du bois à des fins commerciales. Il s'agit de l'affaire la plus importante depuis l'arrêt Marshall, en 1999, grâce auquel les Micmacs de la Nouvelle-Écosse ont obtenu un droit de pêche commerciale pour assurer leur subsistance, en vertu d'un principe d'interprétation moderne de traités signés en 1761.La nation micmaque se retrouve une fois de plus au coeur de l'actualité. Une trentaine des siens, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, ont fait valoir leurs droits d'exploitation de la ressource forestière jusqu'en Cour suprême.
En 2000, Josuah Bernard a été déclaré coupable de possession illégale de 23 billots de bois coupés sur une terre de la Couronne à proximité de Miramichi, au Nouveau-Brunswick. Un an plus tôt, 35 bûcherons de la Nouvelle-Écosse, dont Stephen Frederick Marshall, avaient été reconnus coupables de la même accusation. Les hommes ont tous reconnu les crimes qui leur étaient reprochés. Mais, selon eux, des traités conclus à partir de 1760 avec la Couronne britannique leur permettent de participer au commerce du bois.
Dans deux décisions indépendantes l'une de l'autre, les cours d'appel de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont renversé les verdicts de culpabilité et retenu les arguments constitutionnels avancés par les Micmacs. Les tribunaux d'appel ont reconnu que les droits ancestraux ne sont pas gelés dans le temps et doivent être interprétés dans un contexte moderne.
La même logique avait prévalu en Cour suprême dans l'affaire Marshall. Les suites du jugement avaient précipité les Maritimes dans la «crise du homard». Des dizaines de pêcheurs autochtones s'étaient précipités sur les flots pour pêcher des crustacés, alors que les pêcheurs blancs étaient cloués au quai puisque la saison de pêche était officiellement — et légalement — terminée. Des pêcheurs en colère avaient saccagé le matériel des Micmacs. Le premier ministre Jean Chrétien avait même demandé à la Cour suprême de suspendre l'application de son jugement pour quelque temps, mais sans succès.
Même si les Micmacs obtiennent gain de cause aujourd'hui, les risques de débordement sont minimes. Lorsque Bernard, Marshall et les autres ont triomphé en appel, en août et en septembre 2003, ils ne se sont pas précipités dans les forêts scies à la main. Le ministre des Ressources naturelles du Nouveau-Brunswick, Keith Ashfield, a d'ailleurs indiqué hier qu'il ne s'attend pas à un impact immédiat de la décision de la Cour suprême. Le jugement s'insérera plutôt dans les négociations à long terme entreprises entre les Micmacs et les autorités provinciales sur le partage de la ressource forestière, a-t-il prédit.
L'avocat des Micmacs, Bruce Wildsmith, estime que l'entrée des autochtones dans l'industrie forestière se fera de façon graduelle et sur la base d'ententes formelles entre les parties.
Le chef de l'Assemblée des Premières Nations pour le Québec et le Labrador (APNQL), Ghislain Picard, s'attend malgré tout à «un tollé» en raison de l'importance de l'industrie forestière. «Sans doute que la Cour suprême va renvoyer les parties à la table de négociations et permettre à tout le monde de trouver une façon honorable de s'en sortir», a-t-il dit hier.
Selon M. Picard, la marche tant souhaitée des autochtones vers l'autonomie serait accélérée par un jugement qui leur accorderait un droit d'exploitation de la ressource forestière sur des terres ancestrales. «Si on veut rendre les communautés autochtones un peu plus autonomes financièrement, on doit aussi leur donner la capacité de créer cette économie», croit-il. À peine deux ou trois communautés autochtones participent à l'exploitation du bois au Québec, mais elles ne disposent pas du capital requis pour se tirer d'affaire.
Avec un arrêt de la Cour suprême dans leur jeu, les autochtones pourraient bâtir un meilleur rapport de force dans leurs pourparlers avec l'État. «Ça viendrait relever d'un cran la capacité des nations autochtones de négocier toute la question du partage de la ressource et des royautés», estime M. Picard.
Le litige opposant les Betsiamites au gouvernement Charest et à la Kruger, au sujet de la récupération du bois brûlé sur l'île René-Levasseur, devra d'ailleurs être revu à la lumière du jugement d'aujourd'hui.
La Cour suprême a déjà donné un coup de pouce aux autochtones l'automne dernier. Elle a imposé aux gouvernements l'obligation morale de consulter les Premières Nations avant d'autoriser un projet sur des terres faisant l'objet de revendications ancestrales.