Quand la santé passe au vert
Primum non nocere: d'abord, ne pas nuire. Sur le plan environnemental, ce principe tiré du serment d'Hippocrate est bafoué tous les jours dans nos établissements de santé. Il y a bien, çà et là, quelques objecteurs de conscience, mais leurs actions ont peu de portée. Ça, c'était avant qu'un établissement montréalais ne prenne le taureau par les cornes et se dote d'une véritable politique environnementale. Le Devoir est allé jeter un coup d'oeil sur ce qui pourrait bien devenir un modèle pour tout le Québec médical de demain.
C'est une vérité de La Palice de dire que pollution et santé ne font pas bon ménage. Pourtant, la façon dont le système de santé canadien gère ses polluants est loin d'être exemplaire. En fait, un rapport de la Coalition canadienne pour un système de santé écologique montre que pas moins de 10 % de toute la pollution au pays lui est directement attribuable, un bilan pour le moins paradoxal qui hérisse le Dr Jean Zigby, instigateur du premier centre de santé et de services sociaux (CSSS) vert au pays.Ce virage sur lequel mise aujourd'hui le CSSS Côte-des-Neiges-Métro-Parc-Extension (anciennement désigné sous l'acronyme CLSC) est d'abord une affaire de coeur, explique le Dr Zigby. «Je comprends mal comment un système qui doit protéger la santé des gens accepte de négliger la portée environnementale de ses gestes. Au Québec, nous n'avons jamais favorisé une approche holistique, et je crois que cela est en train d'empoisonner notre avenir», poursuit celui qui compte sur une équipe verte pour rendre son lieu de travail écosympathique.
C'est que la qualité de l'eau et de l'air, la pollution et les sous-produits industriels ont un effet indéniable sur la santé. Outre le cancer, Santé Canada leur attribue certaines malformations congénitales, des problèmes de développement et de comportement chez les enfants, des problèmes respiratoires et même des malaises d'estomac ou des problèmes de peau. Un héritage lourd auquel le Dr Zigby refuse de participer davantage.
Dans son rapport intitulé Doing Less Harm, la Coalition canadienne pour un système de santé écologique est formelle: les hôpitaux, les CSSS, les CHSLD et leurs équivalents dans les autres provinces sont à l'origine du dixième de la pollution au Canada, eau, terre et air confondus, une donnée qui a reçu l'aval de Santé Canada. «Ça, c'est sans compter les firmes pharmaceutiques», précise le coordonnateur de l'Équipe verte, Jérôme Ribesse.
Pis encore, le système de santé et ses incinérateurs sont le deuxième émetteur de dioxines dans l'air au pays. Selon Environnement Canada, les dioxines sont un des éléments les plus toxiques qui soient. On leur attribue des effets cancérigènes mais aussi une augmentation des problèmes du foie et de la thyroïde. À un fort niveau d'exposition, ils favorisent également l'hypertension, des troubles cardiovasculaires, des fausses couches et des retards de croissance.
Si seulement le recours aux incinérateurs était justifié!, se désole la coalition. Son rapport montre plutôt qu'on y brûle de tout sans discernement. Une enquête menée à l'Hôpital pour enfants malades de Toronto montre par exemple que 80 % des déchets incinérés sont des déchets inoffensifs (papier, canettes, bouteilles de verre et emballages) qui ne commandent pas une telle précaution.
Un modèle
Utopique il y a quelques années encore, le rêve du Dr Zigby a tranquillement fait son chemin jusqu'aux hautes sphères politiques. Recyc-Québec a été si emballé par le projet qu'il a demandé aux dirigeants du CSSS de rédiger un document qui servira d'exemple aux autres établissements de santé qui veulent réduire leurs déchets résiduels.
Mais le projet du Dr Zigby va au-delà du simple recyclage. Son approche est globale. Elle englobe donc le réemploi, la réduction à la source, l'élimination des produits toxiques (le mercure, par exemple), l'achat équitable, l'ergonomie au travail et la promotion des entreprises locales. Un contrat audacieux qui, pour l'instant, n'a pas trouvé de mentor pour le propulser à l'avant-scène et en faire un véritable modèle.
Selon l'omnipraticien, tant que la population n'exigera pas du système de santé qu'il soit plus attentif à ces questions, rien ne bougera. Avec son projet, il ne cache pas qu'il espère marquer leur imaginaire... et celui des décideurs. «La population considère le milieu de la santé comme un milieu à part, imperméable, où il y a de très hautes technologies qui lui échappent. Mais ce désintérêt peut nous coûter très cher.»
Fonctionnant grâce à des subventions de Recyc-Québec et à des dons d'organismes philanthropiques, le projet nécessite une équipe à temps plein. Pour rendre un CSSS écosympathique, il faut en effet le radiographier sous tous les angles. Achats, consommation et production de déchets doivent être minutieusement décortiqués, des plans de redressement doivent être imaginés puis mis en place et administrés. C'est donc une entreprise qui demande temps, énergie et capitaux, trois ressources qui manquent cruellement à notre système de santé.
Mais cette barrière, le Dr Zigby s'en méfie comme de la peste. «Il faut mesurer l'impact de nos choix. Le meilleur choix n'est pas forcément le moins cher mais celui
qui durera le plus longtemps possible. Je comprends que la perspective d'une équipe verte en temps de restrictions budgétaires puisse paraître utopique, mais je crois que cet investissement est rentable dès le moyen terme.»
C'est aussi le sentiment de M. Ribesse. «Il y a pas mal d'économies à faire. Un bel exemple, c'est l'Hôpital pour enfants malades de Toronto, qui a décidé, il y a entre cinq et dix ans, d'arrêter de faire affaire avec une firme pour faire déchiqueter ses documents. Depuis, il le fait lui-même et gagne 100 000 $ par année en détruisant ceux des hôpitaux du coin et de la police de Toronto.»
Nouveau front
En ce moment, le CSSS s'attaque aux approvisionnements. Dans toute l'île de Montréal, c'est le consortium Approvisionnement Montréal qui gère les achats de tous les joueurs du système québécois. En voulant acheter vert, l'équipe environnementale a toutefois découvert qu'il était impossible de savoir quel produit était le plus écosympathique, faute d'étiquetage précis.
«On leur a demandé de nous informer sur la provenance des produits et leur nature. Nous voulons savoir lesquels utilisent des matériaux recyclés, lesquels sont recyclables, lesquels sont exempts de métaux lourds», raconte Jérôme Ribesse, qui caresse l'espoir que les autres établissements montréalais auront le réflexe de profiter de cette fructueuse cueillette d'information.
Sur le terrain, de petits gestes commencent déjà à rapporter. Par exemple, le CSSS a cessé de jeter les ciseaux qu'il utilisait pour les procédures non stériles. Il a également réduit au maximum son recours au mercure et mis au point un système de récompense à l'intention des employés qui choisissent de se rendre au travail au moyen de transports sains et durables.
La prochaine étape: la réception et l'analyse des résultats d'un audit énergétique qui devrait permettre de mieux cibler la consommation. La fin du projet, elle, est une vue de l'esprit aux yeux du Dr Zigby. «Le but ultime n'est pas de dire: "Voilà, nous sommes un CSSS vert" mais de rester toujours en alerte et de pousser cette logique toujours plus loin.»
Dans les environs du CSSS, la formule commence à faire mouche. «Ce qu'on fait ici, du fait que c'est porté par un médecin, commence à faire le tour des établissements en périphérie. On sent qu'il y a un intérêt grandissant pour notre équipe verte. Nous sommes prêts à leur donner des pistes», se félicite Jérôme Ribesse. L'invitation est lancée...