Le saut périlleux de Montréal 2005

Myriam Boileau s’est entraînée hier sur les installations de l’île Sainte-Hélène.
Photo: Agence Reuters Myriam Boileau s’est entraînée hier sur les installations de l’île Sainte-Hélène.

Le début des compétitions des Championnats du monde de la Fédération internationale de natation (FINA), demain matin, sur fond de ciel bleu annoncé, marquera l'aboutissement d'une longue saga, qui a fait en quatre ans tout autant de remous qu'un plongeon raté de la tour de 10 mètres en fait dans l'eau. Reste maintenant à savoir jusqu'à quel point l'événement sauvé de justesse en février servira à long terme la réputation internationale de Montréal.

René Guimond, directeur général de Montréal 2005, a hâte d'assister ce soir aux cérémonies d'ouverture des Championnats et aux premiers plongeons et lancers de water-polo demain... Depuis le 21 février, l'homme ne vit que par et pour les Championnats. «Nous avons fait en quatre mois ce qui aurait dû être fait en un an et demi, et sans rien négliger», a-t-il dit au milieu d'une dernière semaine de préparatifs, un peu essoufflé mais «fort satisfait» du travail accompli par l'équipe de Montréal 2005. Car celle-ci en a bûché un coup (et en a reçu plusieurs) depuis l'obtention de l'organisation des Championnats, en 2001. Retour sur les points saillants d'une histoire rocambolesque, qui aurait pu aboutir dans des piscines vides n'eût été un sauvetage in extremis de l'événement — au prix d'un risque financier réel pour la Ville de Montréal.

La grande part des rebondissements de l'aventure de Montréal 2005 tient d'ailleurs à des questions d'ordre (ou de désordre) financier. L'événement était à peine né que déjà les problèmes de financement apparaissaient. La crise qui a éclaté au grand jour en décembre 2004 couvait ainsi depuis le début de 2002. Manque de liquidité, absence de commandites, déficit budgétaire, les tuiles s'accumulaient à cette époque, assez pour que la présidente du comité organisateur, Lyn Heward, démissionne. Elle sera remplacée par Yvon Desrochers.

Au début de 2003, M. Desrochers déplore en réunion l'incapacité du comité à payer ses employés, tandis que des arrangements doivent être trouvés pour assurer les réservations des chambres d'hôtel des délégations. Montréal 2005 est alors techniquement en faillite. En septembre 2004, la FINA fait part de ses craintes devant des préparatifs peu avancés. Trois mois plus tard, le comité organisateur tire la sonnette d'alarme et demande une aide gouvernementale d'urgence de 12,2 millions, représentant essentiellement le montant qu'il pensait d'abord être capable de recueillir en commandites privées. C'était sans prévoir qu'aucune compagnie ne serait tentée d'investir dans un événement qui sentait la catastrophe.

Refus de la FINA

L'appel reste lettre morte: les gouvernements estiment qu'ils ont déjà assez dépensé. Ottawa a mis 19 millions dans le projet, dont 16 dans le budget d'exploitation. Québec a pour sa part engagé 14 millions dans les infrastructures. Mais le 11 janvier, le ministre du Sport et du Loisir, Jean-Marc Fournier, tente de convaincre la FINA d'investir 3,6 millions dans l'organisation, en échange de quoi Québec pourrait lui aussi augmenter un peu ses subventions. La réponse tombe: la FINA refuse et retire le 19 janvier l'organisation des Championnats à Montréal.

C'est ici qu'intervient le «Superman» de l'histoire, le maire Gérald Tremblay. Choqué de voir la réputation de sa ville «entachée» par ce fiasco, il monte au front et promet à la FINA d'absorber tout déficit d'exploitation, un engagement qui aurait pu coûter une dizaine de millions à la Ville. C'était une question d'honneur: après le désastre financier des Jeux de 1976 et la perte anticipée des Expos, il n'était pas question pour le maire que le nom de Montréal soit définitivement associé à des défaites dans les circuits sportifs.

Le lobbying exercé par la Ville convainc finalement la FINA en février de redonner les jeux à Montréal. Berlin, Athènes et Moscou s'étaient portés candidats de remplacement. Pour la première fois dans l'histoire des Championnats, les compétitions auront donc bel et bien lieu en Amérique du Nord.

Un nouveau conseil d'administration est alors formé par M. Tremblay, Normand Legault et René Guimond (en pleine tourmente, critiqué de toutes parts, Yvon Desrochers s'est enlevé la vie au début de février). La tâche est colossale: si les travaux de construction des installations sont avancés, tout le reste est en retard. Il n'y a pas de billets vendus, pas de commanditaires. Et l'événement est prévu dans cinq mois... «La seule façon de réussir, dit M. Guimond, c'était de regarder en avant. S'il avait fallu qu'on regarde en arrière et qu'on cherche des coupables, nous ne serions pas là aujourd'hui.»

Espoirs

Être là, c'est être prêt pour le début du plus gros événement sportif à se tenir à Montréal depuis les Jeux olympiques de 1976. À la veille de l'entrée en scène des athlètes, René Guimond se montre enthousiaste. Il reste bien sûr la vente des billets, qui n'a pas encore décollé, mais le directeur général est persuadé que le public affluera dès le début des compétitions. «Nous avons passé le cap des 75 000 billets vendus», dit-il. Ce qui est loin de l'objectif visé par le comité, soit 210 000, mais le mot d'ordre est de rester calme. Fini les appels aux maires d'arrondissement pour qu'ils achètent des billets en masse, on fait maintenant confiance à «l'engouement». «Avec la qualité des installations et des compétitions, les gens vont venir», jure René Guimond.

Les finances se sont améliorées. À ce jour, on a trouvé huit des neuf millions espérés en commandites dans le nouveau budget de 38,8 millions. Ce qui veut tout de même dire que le succès de la vente des billets (11 millions attendus) sera essentiel pour que la Ville évite d'avoir à débourser quoi que ce soit afin d'assurer l'équilibre budgétaire de l'événement. «Nous sommes confiants», assure le directeur général.

À son avis, les retombées de l'événement pour Montréal seront immenses. «Il y aura cette semaine 1400 journalistes sur le site, des gens de partout sur la planète. Ce sera diffusé dans 140 pays et on estime qu'un milliard de personnes vont écouter les Championnats. C'est énorme. Pendant deux semaines, Montréal sera vu sous son plus beau jour. C'est une campagne de publicité qui serait impossible à réaliser autrement; ça coûterait des dizaines et des dizaines de millions.»

À Tourisme Montréal aussi on salive. Quelque 52 000 nuitées ont été réservées dans les hôtels de Montréal (2000 athlètes, 1000 accompagnateurs, 300 officiels, des visiteurs), ce qui représente, selon Pierre Bellerose, quelque 10 ou 15 millions en retombées. «Ça fait près de 5000 nuitées par jour, pendant deux semaines; c'est exceptionnellement long, dit-il. C'est parmi les très bons événements hôteliers des dernières années.»

M. Bellerose évalue que Montréal profitera de trois façons de l'événement; d'abord par les infrastructures qui demeureront en place pour la population (trois piscines, les installations de plongeon), puis par la manne des retombées touristiques directes (les retombées générales sont estimées à 63 millions par Tourisme Montréal), mais aussi et surtout par le relais médiatique qui sera fait jusqu'au 31 juillet. «Personne ne peut se payer ce type de publicité.»

Il est impossible de dire précisément aujourd'hui quel impact cela aura pour Montréal. Selon Sylvain Lefebvre, directeur du Groupe de recherche sur les espaces festifs (GREF) au département de géographie de l'UQAM, il faut toutefois faire attention aux estimations trop optimistes. L'événement est nouveau, il est ponctuel et il concerne des sports qui soulèvent généralement peu d'intérêt ici (on le constate dans les préventes de billets). «Il est indéniable que ça peut contribuer à une forme de rayonnement de Montréal à l'échelle internationale, dit-il. Une couverture médiatique de deux semaines partout dans le monde, c'est un très bon véhicule promotionnel. Ça contribue à faire connaître une ville, à la rendre attrayante pour d'éventuels touristes. Mais est-ce qu'on parle d'un événement absolument incontournable? Non. Il y a beaucoup d'autres événements festifs et sportifs qui permettent déjà à Montréal de se positionner sur le marché.» En ce sens, il juge que la perte des Championnats n'aurait pas été «dramatique».

Ce n'est toutefois pas le sentiment qui animait Gérald Tremblay quand il s'est présenté devant les journalistes le 19 janvier, l'air combatif et fâché des grands jours. Aujourd'hui, malgré l'incertitude qui demeure sur le succès futur des Championnats, il doit tout de même être content de voir que son plongeon se termine dans l'eau, et non sur le ciment. Le monde jugera de la réception.

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