Jour J dans les hôtels

Après les ententes de principe à l'hôtel Reine Élizabeth et au Delta centre-ville convenues dans la nuit de mercredi à hier, il restait encore hier soir 13 établissements de Montréal et de Laval sur lesquels pouvait souffler une grève générale illimitée. À moins d'une rafale de règlements nocturnes, environ 2000 employés affiliés à la Confédération des syndicats nationaux (CSN) pourraient débrayer aujourd'hui. L'exécution de cet arrêt de travail, ultime rapport de force en saison estivale, ne semblait pas forcément assurée, mais la CSN affirmait que les discussions s'annonçaient «longues et pénibles».
Au moins sept syndicats, qui négocient tous de manière indépendante mais à partir d'une plateforme de demandes communes, étaient attablés face à leur employeur dans l'espoir de copier l'entente «modèle» déjà conclue ailleurs. Si aucun règlement ne survenait au cours de la nuit, plus du cinquième des chambres du Grand Montréal — soit 3500 sur environ 15 400 — seraient touchées par ce débrayage sans précédent, ce qui forcerait les cadres à retrousser leurs manches pour assurer le nettoyage et l'entretien. Mais il restait tout à fait possible que de ce moyen de pression adopté à l'approche des Championnats de sports aquatiques naisse un climat d'entente si propice à des règlements que le projet de grève soit révisé à tout moment.«On n'a toujours pas annoncé à quelle heure on déclencherait la grève, histoire de voir un maximum de tables se déployer. On fera l'évaluation ce soir ou demain matin [ce matin] quant à son déclenchement éventuel», a indiqué hier le président de la Fédération du commerce de la CSN, Jean Lortie, qui osait tout au plus prédire «peut-être deux règlements» tout en convenant que c'est vers 5h ou 6h qu'il «risque d'y avoir beaucoup de fébrilité». Combien d'ententes faudrait-il obtenir pour mettre au rancart, même à la dernière minute, ce projet de débrayage? «Ce n'est pas le nombre d'ententes mais plutôt la volonté des hôteliers de nous donner les éléments des ententes de principe déjà convenues ailleurs.»
Les quatre ententes conclues jusqu'à maintenant — y compris les deux premières, au Centre Sheraton et au Hilton Laval — portent sur des augmentations salariales de 11 % en trois ans, sur un régime de retraite simplifié avec contribution de 5 % du salaire de la part de l'employeur (contre 4 % auparavant) et sur une amélioration des régimes de vacances et de congés de maladie. Toute lenteur dans les négociations pouvait souvent s'expliquer par un blocage sur ces points, a précisé M. Lortie. Un préposé aux chambres au Reine Élizabeth, par exemple, gagne 15,78 $ l'heure, comparativement à 12,60 $ au Comfort Inn de Dorval.
Les tables de négociation en activité étaient notamment celles du Ruby Foo's, du Ritz-Carlton, de l'hôtel Gouverneurs Place Dupuis, du Hyatt Regency et du Holiday Inn Sélect Sinomonde. Certains hôtels estimaient l'entente «trop chère», a dit M. Lortie. Pendant ce temps, le Holiday Inn Sélect, à Québec, parvenait à une entente même s'il ne comptait pas parmi les 13 hôtels menacés par la grève.
L'entente conclue au Delta centre-ville n'est peut-être pas étrangère au fait qu'environ 400 chambres à occupation quadruple, sur un total de 700, auraient été réservées en vue des Championnats de sports aquatiques. Mais certains des 13 hôtels abritaient eux aussi des athlètes et des journalistes étrangers, notamment l'Omni Mont-Royal, le Crowne Plaza Métro-Centre et le Gouverneurs Place Dupuis, disait-on.
«Ça m'étonnerait que les athlètes se mettent à changer d'hôtel à cause de la grève, à moins que les services des hôtels soient totalement désorganisés et ne puissent pas assurer leur alimentation, a toutefois affirmé Jean Lortie. Mais si c'est seulement les chambres, ils vont se débrouiller avec les cadres.» L'Association des hôtels du Grand Montréal, qui ne commente généralement pas le progrès des pourparlers, a affirmé toute la semaine que les cadres assureraient le suivi des services et que la grève ne paralyserait pas l'industrie.
Le Crowne Plaza Métro-Centre fonctionne déjà sous respirateur artificiel, les 110 employés ayant voté la grève générale illimitée dimanche, après que la direction eut décrété un lock-out la veille. Une séance de conciliation est prévue aujourd'hui, a indiqué la CSN.
Quant aux employés du Hilton Laval, ils ont entériné à 100 % l'entente de principe, geste imité à 99 % au Centre Sheraton. Les travailleurs du Reine Élizabeth et du Delta centre-ville voteront sous peu. À la grandeur du Québec, ce sont pas moins de 40 syndicats hôteliers affiliés à la CSN qui doivent renouveler leur contrat de travail cette année.
Entre-temps, la rivalité intersyndicale parfois perçue entre la CSN et la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) s'est manifestée hier, celle-ci annonçant la signature d'«un des meilleurs contrats de travail dans l'industrie de l'hôtellerie au Québec». Le règlement au Château Bonne Entente, à Québec, procure aux 150 employés une augmentation salariale de 19 % sur cinq ans, dont 9 % la première année. Aussi, la charge de travail des préposés aux chambres passe de 14 chambres par jour, soit la norme dans l'industrie, à 12. «Cette entente trace la voie pour les négociations qui commencent bientôt aux hôtels Delta, Le Classique et au Manoir Victoria à Québec», a indiqué dans un communiqué Guy Gendron, représentant du syndicat local affilié aux Métallos (FTQ).