L'amour au temps du bistouri

Sous la magie du bistouri, des peaux fatiguées se tendent de nouveau, des rides s'effacent, des formes se creusent. Cette quête grandissante de la jeunesse éternelle a récemment fait son lit jusque dans la chambre à coucher, où la dernière tendance est de s'offrir un remodelage complet des organes génitaux, une aspiration qui amène la communauté mondiale des sexologues, en congrès cette semaine dans la métropole, à se pencher sur le sujet.

Revanche sur la nature pour les uns, asservissement au plaisir du partenaire pour les autres, le sujet est manifestement délicat. La salle a beau être pleine à craquer de sexologues rompus à ce genre d'exercice, de petits rires nerveux et des coups de coude viennent régulièrement ponctuer la présentation des trois conférenciers qui sont là pour parler cosmétisation des organes sexuels, images-chocs à l'appui.

C'est que nous sommes à des lieues des piercings, tatouages et autres épilations partielles ou complètes du pubis. Ici, le sexe féminin est resserré, minimisé, tandis que le sexe masculin est allongé et élargi par la main adroite du chirurgien plasticien. Manifestement, si l'égalité des sexes est de bon ton en société, c'est une tout autre histoire dans la chambre à coucher, remarque la psychologue Virginia Braun.

«La cosmétisation à outrance des organes génitaux trahit une volonté de mettre l'accent sur le dimorphisme sexuel, en accentuant la fragilité et la petitesse du sexe féminin et en gonflant la taille et l'énergie du sexe masculin», explique la chercheuse au département de psychologie de l'Université d'Auckland, en Nouvelle-Zélande.

Cette volonté en cache une autre, celle de séduire, une aspiration qui rime ici avec jeunesse éternelle. Ayant flairé l'aubaine, les chirurgiens n'offrent plus seulement un remodelage des organes sexuels féminins, mais aussi un rajeunissement complet. «Ces femmes désirent un sexe comme on les voit dans les magazines: jeune, lisse, intouché», explique Mme Braun, qui s'est penchée sur le phénomène dans 15 pays, dont le Canada.

Dans l'histoire, le sexe féminin a pris une symbolique toute particulière, avec le culte du féminin sacré. «Pourtant, quand on représente [le sexe féminin] aujourd'hui, c'est souvent comme quelque chose de sale, de honteux, voire de dangereux», remarque la chercheuse, qui observe que les femmes ont souvent un rapport difficile avec leur sexe.

La chirurgie est parfois un moyen pour certaines femmes de se réconcilier avec un corps qui leur est devenu étranger. «J'ai l'impression que j'ai des testicules tant ma peau est relâchée. C'est comme une trahison de la part de mon propre corps», raconte l'une des femmes interrogées par Virginia Braun.

Cette femme n'a pas hésité à jouer le tout pour le tout. Elle a opté pour la cure de rajeunissement complète, qui inclut la réduction des petites lèvres, l'augmentation des grandes lèvres, une liposuccion du pubis et un resserrement du vagin. Pour les futures mariées, certains chirurgiens poussent même le détail jusqu'à offrir la chirurgie réparatrice de l'hymen.

Une boîte de Pandore

Pour la chercheuse, il ne fait aucun doute qu'en offrant de telles solutions, les chirurgiens ont ouvert une boîte de Pandore. Le corps féminin est déjà l'objet de normes impossibles avec l'omniprésence des mannequins à la télé et dans les magazines, voilà que les femmes aspirent désormais à avoir un sexe digne d'une jeune fille ou d'une vedette XXX. «Cette offre vient brouiller les normes et imposer un modèle qui est pourtant loin d'être répandu», déplore Mme Braun.

La formule a quand même ses adeptes. Certaines femmes racontent avoir vu leur plaisir augmenter, d'autres se surprennent à être devenues multi-orgasmiques une fois passée sur la table d'opération. Une transformation dont doute fort Mme Braun. «Quand on les interroge un peu mieux, on comprend que c'est d'abord leur rapport à leur corps et à leur partenaire qui a changé.»

Ça, c'est sans compter le lot d'histoires d'horreur qui vient avec toute chirurgie: infection de la vessie, saignement après l'opération, cicatrisation hypertrophique, perte de sensibilité sont le lot de plusieurs téméraires. La liste des doléances est longue et vaut aussi pour monsieur.

Inondé de pourriels leur proposant d'allonger leur pénis au moyen de pilules qui ne valent pas mieux que les filtres et potions d'autrefois, les hommes sont nombreux à rêver d'un sexe plus imposant, cela très jeunes. Les promesses des pourriels, ce sont les cabinets privés qui les tiennent.

Moyennant 10 000 $US, le chirurgien américain Alexander Krakovsky allonge de 10 à 20 % le sexe de ces messieurs, une activité qui lui vaut les foudres de ses collègues urologues. «L'histoire médicale est remplie de conflits entre les différentes spécialités, ce n'est pas nouveau. Les urologues refusent de faire certains des actes que nous faisons, soit, mais nous leur rappelons que nos buts sont exclusivement esthétiques et que ce n'est pas de leur ressort.»

Co-inventeur de l'Andro Penis, un appareil médical conçu pour allonger le pénis, le psychologue Carlos Moreira estime que le désir des hommes est légitime et qu'il doit être satisfait. «Les hommes qui souffrent d'un tel problème souffrent d'abord psychologiquement, c'est une démarche qu'ils font pour eux», explique celui qui est rattaché au Masters Clinic de l'Uruguay.

M. Moreira propose une sorte d'attelle externe que le patient fixe à son pelvis et porte pendant plusieurs mois à raison de huit heures par jour. Sa clientèle, qui a principalement entre 20 et 30 ans, prend au moins trois centimètres dès les quatre premiers mois, assure-t-il. Pour les plus coquets, il existe même une version plaquée or dudit appareil!

Débuté lundi, le XVIIe Congrès mondial de sexologie se termine aujourd'hui avec le dévoilement de la Déclaration de Montréal sur les grands objectifs sexuels du millénaire, qui sera soumise à l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

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