Ici Houston: arrêtez les moteurs! - Discovery clouée au sol

Houston — Cinq, quatre, trois, deux, un... lift off! La voix familière de George Diller ne s'est pas fait entendre hier au Kennedy Space Center (KSC), en Floride. Discovery est restée clouée au sol avec ses sept astronautes alors que la navette devait s'élancer dans le ciel à une vitesse dix fois supérieure à celle d'une balle de Winchester.
«Discovery's launch called off because of faulty fuel-tank sensor» («Le lancement de Discovery retardé en raison du mauvais fonctionnement d'un détecteur sur un réservoir de carburant»): le bulletin de 12h39 de l'Associated Press, la plus grande agence de presse au monde, a eu l'effet d'une douche froide dans la salle de rédaction du Houston Chronicle.Le septième quotidien américain se préparait depuis des mois au «grand jour». Cinq journalistes et deux photographes étaient chargés de remplir les trois pages consacrées à la première navette appelée à retourner dans l'espace depuis la désintégration de Columbia dans le ciel texan, le 1er février 2003.
Le Chronicle avait installé ses caméras non loin du pas de tir 39B du KSC. «Sept gros appareils au total. Si une catastrophe s'était produite au décollage, la NASA nous aurait confisqué les photos le temps de mener son enquête», a expliqué Steve Gonzales, directeur photo du journal.
À 11h, quand la direction du Chronicle a annoncé à la réunion de production que Discovery et ses passagers pouvaient rester cloués au sol à cause du mauvais temps, tous les journalistes se sont regardés. «I want these babies up!», a lancé Darlene Stinson.
Jusqu'à la toute dernière minute, les retombées de l'ouragan Dennis ont donné des maux de tête au Johnson Space Center (JSC). Fallait-il remiser Discovery dans un hangar le temps que le ciel soit plus clément? «Des précipitations soutenues, quelques éclairs et nous aurions alors retardé le départ», a expliqué le porte-parole James Hartsfield.
Ce n'est pas la colère de Zeus mais bien les caprices technologiques qui ont empêché le départ tant attendu du pilote James Kelly, des chargés de mission Stephen Robinson, Soichi Noguchi (Japon), Andrew Thomas, Wendy Lawrence et Charles Camarda ainsi que de leur commandant Eileen Collins.
Discovery devait s'arrimer à la Station spatiale internationale et, après plusieurs jours de travaux en orbite, la navette devait se détacher de l'ISS le 23 juillet pour revenir sur Terre deux jours plus tard.
Le centre de contrôle de la NASA à Houston n'a pas encore fixé de date pour le prochain décollage. En tout cas, ce ne sera pas avant lundi, a-t-on souligné au JSC.
Au Houston Chronicle, John Wilburn, le rédacteur en chef, est resté de marbre à l'annonce du report du décollage. «Nous sommes habitués aux retards de dernière minute pour des raisons techniques ou météorologiques.»
La tête froide
Comment peut-on garder son sang-froid quand chaque jour de retard grève le budget d'un journal? Wilburn a souri dans sa barbe grise: «Notre salle de réaction est climatisée!» Le ciel n'est assurément pas tombé sur la tête du Houston Chronicle et, à la NASA, on garde la tête froide.
«Nous aurions bien sûr aimé voir Discovery décoller. Mais ce sera pour un autre jour. Ce n'est pas plus grave que ça. Ainsi va la vie!», a expliqué le porte-parole John Ira Petty.
Si Discovery était partie comme prévu à 15h51, elle se serait arrimée demain à la Station spatiale internationale (ISS) pour livrer de l'eau, des vivres et du matériel au cosmonaute russe Sergueï Kirkalev et à l'astronaute américain John Philips.
Trois sorties dans l'espace étaient prévues, d'une durée de six heures et demie chacune.
Soichi Noguchi, 40 ans, le «bébé» de l'équipage, aurait été un des premiers à trottiner dans le ciel à 350 kilomètres au-dessus de l'empire du Soleil levant. «Même si c'est le cinquième astronaute japonais à s'envoler, nous sommes un peu inquiets pour Soichi», confiait mardi le journaliste de TV Asahi, Fumitake Saiki, venu avec toute son équipe à Houston, où l'astronaute nippon et ses six autres compagnons de l'espace ont pris un dernier repas chez Frenchie's (le propriétaire Frankie Camera le rappelle à tous ses clients) avant de s'envoler samedi dernier pour KSC, non loin d'Orlando.
Si Discovery ne décolle pas avant le 31 juillet, les astronautes retourneront à Houston et leur prochain vol aura lieu en septembre. Ils auront alors tout le temps de manger leurs plats préférés chez Frenchie's.
Maintes fois reporté pour des raisons de sécurité, le lancement de Discovery devait se faire sous haute surveillance, sous les yeux d'une centaine de caméras au sol et de satellites-espions militaires. Chaque centimètre carré des 30 mètres de la navette construite à la fin des années 70 a été minutieusement ausculté.
Mardi, la NASA avait réparé les légers dommages provoqués par la chute d'un revêtement de plastique sur une des huit fenêtres du cockpit de Discovery, qui prendra une retraite bien méritée dans cinq ans avec les deux autres navettes, Endeavor et Atlantis.
À la suite des catastrophes de Challenger (28 janvier 1986) et de Columbia (1er février 2003), la NASA ne peut pas se permettre de prendre le moindre risque. L'agence spatiale américaine a la prudence d'un anachorète. Ou d'un Sioux, dira-t-on à l'ouest du Mississippi.
Collaborateur du Devoir