Douche froide pour les catholiques progressistes du Québec

Le choix du préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, Joseph Ratzinger, pour occuper le poste de successeur de saint Pierre a eu l'effet d'une douche froide sur les éléments progressistes de l'Église catholique québécoise. Plus tempérés, les évêques laissent la chance au coureur et vantent les grandes qualités intellectuelles du nouveau pape.

La déconfiture était grande hier pour Hélène Chénier, présidente du Réseau Culture et foi, un organisme voué à la réflexion sur l'application de l'Évangile en lien avec la culture d'aujourd'hui. La femme de 73 ans, qui travaille depuis des décennies à «faire évoluer l'Église de l'intérieur», a l'intention de se retirer sur ses terres à la fin du mois.

«Je vais faire comme d'autres, je ne m'investirai plus pour répandre la bonne nouvelle dans cette Église. Chacun peut se retirer dans cette Église et vivre sa foi individuellement. Je ne l'ai jamais fait en 53 ans de vie spirituelle, mais là, assez, c'est assez!», s'est exclamée la catholique d'un ton plein d'amertume.

Elle a rappelé le rôle de gardien de l'orthodoxie que le cardinal Ratzinger a joué sous Jean-Paul II.

«Il envoyait des taloches à droite et à gauche, aux femmes, aux grands théologiens qui ne pensaient pas comme lui. Il a arrêté la discussion — c'est tout à fait inacceptable — sur tous les points de morale, sur l'ordination des femmes, des hommes mariés...», a poursuivi Mme Chénier, estimant qu'un pape doit avoir une plus grande ouverture au dialogue.

Le ton était beaucoup plus positif du côté de la hiérarchie catholique. L'élection de Benoît XVI a reçu un accueil favorable hier aux diocèses de Montréal et de Québec, qui lui ont assuré leur fidèle obéissance. Prompt à réagir, Anthony Mancini, vicaire général et évêque auxiliaire à Montréal, a aussitôt tenu à minimiser l'aura conservatrice qui entoure cette nomination. «Je crois que c'est une personnalité qu'il nous faut découvrir. Benoît XVI pourrait nous surprendre, comme Jean XXIII l'a fait en tant que pape de transition.»

Mgr Mancini en a également profité pour préciser la notion de conservatisme qui colle à la peau du cardinal Ratzinger. «Les termes "conservateur" ou "libéral" ne sont pas des termes qui s'adaptent bien à l'Église. Si être conservateur, c'est tout faire pour conserver la tradition et l'enseignement de Jésus-Christ, oui, il [Joseph Ratzinger] l'est, et c'est une bonne chose. [...] Nous n'avons pas besoin des lumières catholiques, mais des classiques catholiques.»

Ce n'est pas l'avis du prêtre très médiatisé Raymond Gravel, qui faisait état de ses positions progressistes, notamment en faveur des mariages gais, il y a 10 jours à l'émission Tout le monde en parle. «Alors qu'on parle d'ouverture sur le monde, d'assouplissement sur la morale sexuelle, c'est tout à fait le contraire de ce qu'on pouvait souhaiter», a commenté le curé qui est attaché à la paroisse de Saint-Joachim-de-la-Plaine.

Sa déception est d'autant plus vive que ce choix aura, selon lui, un impact négatif important sur l'Église du Québec. «Les conservateurs comme Joseph Ratzinger sont peu nombreux au Québec où le désir de renouveau est grand, a avancé le prêtre. Cette nomination ne pourra que favoriser la désaffection déjà grande des fidèles qui ne se reconnaîtront certainement pas dans ce pape.»

Pour Hélène Chénier, si Benoît XVI persiste dans ses positions conservatrices, il risque de faire fuir ceux qui, comme elle, espérait voir l'Église évoluer: «Je connais des quantités de catholiques engagés qui me répondent: "nous les débats à l'intérieur de l'Église... On préfère s'occuper de pauvreté, de paix. On n'a rien à voir avec cette institution"», a relaté Mme Chénier, s'avouant néanmoins consciente que l'élection d'un pape résolument réformiste était impossible. «Mais cela aurait pu être moins pire».

Bien que plus pondérée dans ses propos, la supérieure générale de l'Institut des soeurs Notre-Dame-du-Bon-Conseil, soeur Gisèle Turcot craint elle aussi que cela «confirme le soupçon sur l'institution et sur sa capacité d'évoluer». «Cela nous laisse très perplexe et nous fait redouter que cela vienne confirmer la position de ceux qui disent qu'il n'y a plus rien à attendre de l'institution pour comprendre les questions difficiles qu'on a à vivre tous les jours», affirme la religieuse qui a occupé le poste de secrétaire générale de l'Assemblée des évêques dans les années 1980.

Elle a rappelé que le cardinal Ratzinger avait fermé à «double tour» le débat sur l'ordination des femmes en 1995, précisant que la question n'avait pas lieu d'être discutée en Église. Plus récemment, elle a souligné la lettre d'août dernier, dans laquelle le cardinal Ratzinger décriait le féminisme. «Sa nomination, pour les femmes, annonce une impasse, qui était déjà là, mais qui est renforcée», a poursuivi la religieuse, qui espérait un pape plus rassembleur, aux positions théologiques et intellectuelles moins tranchées, une sorte de «médiateur» entre les différents courants.

Également associé au courant progressiste de l'Église, le directeur du Centre Justice et foi, le jésuite Jean-Marc Biron, espère «qu'on sera surpris» de ce nouveau pontificat et que le pape Benoît XVI sera différent du cardinal Joseph Ratzinger. Si le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi a pour mission de «garder l'orthodoxie», ce n'est pas celle d'un pape, qui se veut plus rassembleur, a mis en relief M. Biron.

La chance au coureur

À l'archevêché de Montréal, hier, on ne cachait pas que les attentes étaient grandes à l'égard de ce nouveau pape, qui devra démêler plusieurs enjeux délicats. «C'est une personne qui est à la hauteur de la tâche, a jugé l'évêque auxiliaire Anthony Mancini, c'est un homme intelligent, très cultivé, très raffiné, capable de conversation, et qui a même son fan club.»

L'ayant rencontré à quelques reprises, il croit fermement que Benoît XVI pourrait être un pape surprenant. «C'est lui qui a assumé la dernière vigile pascale, et je l'ai vu là dans un contexte très différent. Je l'ai vu présider cette liturgie, qui est au coeur de notre foi et de notre Église [...], et j'ai trouvé que le cardinal a été capable de surmonter les distances et de parler aux gens», a-t-il raconté.

L'évêque de Joliette, Gilles Lussier, a parlé lui aussi d'un «homme affable» et soucieux de référer à des «expériences pastorales concrètes». Tout en ne cachant pas être affecté par les propos de certains catholiques progressistes qui baissent les bras, Mgr Lussier a invité les fidèles à donner la «chance au coureur». «On a une image, on connaît la pensée, mais on ne connaît pas tout de l'homme et de ce qu'il sera comme pape, comme pasteur de l'Église universelle. Il a bien accompli les fonctions que l'Église lui a confié jusqu'à présent. [...] Des débats dans l'Église, il y en a eu et il y en aura encore.»

Même son de cloche du côté de l'évêque de Saint-Hyacinthe, François Lapierre. «Une des choses que nous apprend l'histoire, c'est que les cardinaux sont souvent bien différents une fois devenus papes. On va voir dans les prochaines semaines de qui il va s'entourer, son programme d'action», a fait valoir Mgr Lapierre, qui dit avoir confiance que Benoît XVI saura être à l'écoute des différentes façon de penser.

L'évêque, qui ne cachait pas sa préférence pour l'élection d'un pape latino-américain, a constaté que les cardinaux ont peut-être jugé que le temps n'était pas venu, et préféré un pape de transition, âgé de 78 ans.

À Québec, le vicaire général et évêque auxiliaire, Jean-Pierre Blais, était ravi de se retrouver avec un pape de transition. «On ne peut pas s'attendre à de grands changements avec Benoît XVI, il va oeuvrer dans la continuité, et s'il peut être aussi médiatique que son prédécesseur, il fera de grandes choses», a-t-il commenté.

Interrogé afin de savoir s'il s'inquiétait de l'accueil que feront les Québécois à ce pape aux idéaux conservateurs, Mgr Blais s'est fait rassurant. «Les Québécois sont naturellement ouverts et accueillants. Je suis convaincu que nos ouailles vont lui faire un bon accueil et vont donner la chance au coureur.»

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