Les passagers du «Coriolis II»
Le chef cuisinier Bryan Bouchard
Vers 7 heures, Bryan Bouchard, le nouveau chef cuisinier du Coriolis II, est venu boire son café sur le pont. Il passe l’été sur le navire pour « changer d’air ». Cet habitué de la scène culinaire de Québec, qui a déjà eu son propre resto, se sentait « irrité » par la vie en ville. Travailler à bord d’un bateau lui permet de s’extirper du monde de la restauration, qui carbure au stress et nage dans l’alcool — le Coriolis II est un « navire sec ». Rien de mieux pour se refaire une santé, vivre sur un rythme plus sain, gagner une bonne paye et ne pas dépenser un sou. « Le plan est génial : tu travailles beaucoup, tu travailles tous les jours, tu fais beaucoup d’argent — nécessairement, parce que tu travailles tout le temps —, tu ne dépenses pas. Ça te permet après de faire ce que tu veux : aller à l’école, voyager », dit ce fils de marin, né à Sept-Îles.

Embarqué sur le navire il y a tout juste deux semaines, il ne regrette pas sa décision une seule seconde. Pour lui, nourrir une trentaine de personnes avec un seul assistant, c’est de la petite bière. Les contraintes du garde-manger en mer, avec ses denrées qui s’épuisent, posent un défi qu’il ne déteste pas. « C’est un navire scientifique, ajoute-t-il le lendemain soir, toujours en train de contempler le paysage. Ça aussi, ça me fait tripper. » « Tu nourris des gens qui sont en mission. Tout l’équipage, du capitaine jusqu’à moi, en passant par le matelot, travaille pour que les scientifiques se sentent à l’aise, mangent bien, soient heureux, soient dans des conditions favorables pour faire leurs expériences. C’est tout un délire ! Je ne travaillerais pas sur un pétrolier, mais je travaillerais sur le Coriolis quelques années. »
L’étudiante Carole-Anne Guay
« La mission se passe très bien, sauf pour le manque de sommeil », confie Carole-Anne Guay sur le pont arrière, tout près de la frénésie scientifique qui ne semble jamais s’interrompre. Cette étudiante à la maîtrise en océanographie à l’UQAR, dont le projet porte sur l’Arctique, est venue prêter main-forte à ses collègues. Le temps sur le navire est précieux : les organisateurs affrètent le Coriolis II pour environ 30 000 $ par jour. Afin d’en tirer le plus grand profit, on divise la journée en deux quarts de travail, jour et nuit. « Je n’ai pas dormi pendant 24 heures la première journée », explique la jeune femme, coiffée d’un casque de construction et habillée d’une combinaison imperméable. C’est la troisième fois qu’elle se trouve sur le Coriolis II. Elle a eu la piqûre de l’océanographie sur ce même navire, lors d’un stage pendant son baccalauréat. « Je ne peux pas croire que c’est notre job ! » dit-elle le lendemain en contemplant une rigole d’eau qui descend en cascade vers le Saguenay.

Quelques jours après le retour du navire à Rimouski, Mme Guay devait s’envoler vers Cambridge Bay, au Nunavut, pour y réaliser une mission de cinq semaines. Son projet de maîtrise consiste à récolter des échantillons d’eau, tout près de la côte, pour y analyser la matière organique provenant du pergélisol en train de fondre. Cet apport supplémentaire de carbone acidifie-t-il les eaux ? « C’est vraiment là que les changements climatiques se font sentir le plus fort », explique-t-elle sur le pont du Coriolis II. Dix minutes plus tard, un large arc-en-ciel traverserait le ciel du fjord, ajoutant une touche de beauté au paysage déjà magnifique.
Le chercheur Amine el Mahdi Safhi
Au matin, le navire flotte dans la baie des Ha ! Ha !, tout près du port de Saguenay. Non loin, un vraquier, qui dessert probablement une aluminerie locale, est amarré au quai. Amine el Mahdi Safhi, un chercheur postdoctoral en génie civil à l’Université Concordia, a enfilé son imperméable jaune, car la pluie tombe encore à grosses gouttes. La grue du Coriolis II vient de remonter une benne « Van Veen », sorte de grosse mâchoire métallique qui a mordu dans le fond de l’eau. Sur le pont, M. Safhi et un matelot écartent les deux manches de la benne pour ouvrir son gros bec. Une terre brune très foncée, à l’apparence gélatineuse, se révèle. Un ver de terre (ou de mer ?) y gigote.

« C’est très noir ! s’exclame l’ingénieur. Quand c’est noir, c’est parce qu’il y a de la matière organique. » Le jeune chercheur marocain veut savoir si les sédiments de dragage, que les ports retirent périodiquement devant leur terminal, pourraient servir dans certains matériaux de construction, comme le béton ou la brique. À chaque port visité par M. Safhi sont découverts des sédiments bien différents. « On ne trouve jamais la même chose », dit-il. Dans une grande boîte sur le pont reposent les dizaines de chaudières qu’il a remplies à Matane, à Cacouna, à Sept-Îles, à Rimouski… Il en retire les couvercles : apparaissent des sédiments gris, bruns ou noirs, formés de sable, d’argile ou de limon. Au laboratoire, à Montréal, il pourra vérifier la composition et la contamination des résidus prélevés. « Les activités de chaque port influencent la matière qu’on trouve. Ici, je ne serais pas surpris qu’on trouve de l’aluminium dans les sédiments. »