Malgré un rapport «extrêmement critique», les interpellations policières sont maintenues

Selon un vaste rapport « extrêmement critique » commandé par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), les interpellations policières visent toujours de façon disproportionnée les personnes noires, arabes et autochtones. Le SPVM rejette néanmoins déjà la principale recommandation du vaste document : imposer un moratoire sur celles-ci.
Près de quatre ans après la publication, en octobre 2019, d’un premier rapport très critique sur les interpellations policières à Montréal, le nouveau document, de plus de 280 pages, piloté par le même groupe d’experts universitaires, a été qualifié d’ « extrêmement critique » jeudi par le directeur du corps de police, Fady Dagher. « Le profilage racial est un sujet qui me touche personnellement », a-t-il relevé en conférence de presse au quartier général du SPVM, en milieu d’après-midi.
Le rapport, rédigé par quatre experts universitaires, a analysé la surreprésentation des minorités visibles dans les interpellations policières à Montréal, entre 2014 et 2021. Il permet de constater, en somme, que le profilage racial dans ce type d’interventions des forces de l’ordre persiste, malgré le virage culturel entamé en 2020 par le SPVM pour s’attaquer à ce problème. « Les indicateurs pour 2020 et 2021 ne montrent aucune rupture par rapport aux années précédentes », peut-on lire, malgré l’adoption d’une première Politique sur les interpellations policières du SPVM, en juillet 2020.
« Sans doute faut-il plus de temps [pour voir des résultats de cette politique], mais aussi aller plus vite, agir plus fort », a relevé M. Dagher. « Ensemble, nous devons accélérer. »
Pas de moratoire
Les quatre chercheurs universitaires montréalais à l’origine de ce rapport constatent ainsi qu’en 2021, les Autochtones avaient 6 fois plus de chances d’être interpellés que les Blancs ; les populations noires, 3,5 fois ; les personnes arabes, 2,6 fois. Les chercheurs ont aussi constaté que les minorités visibles sont beaucoup plus susceptibles d’être interpellées dans la rue dans un but de renseignement ou d’enquête, tandis que les interpellations policières à des fins de « prévention et d’assistance » visent en plus forte proportion les personnes blanches.
« Aller à la pêche, ça peut avoir un avantage pour les policiers : j’interpelle dix personnes et j’attrape un ou deux criminels. Mais il y a en huit dans le lot qui n’avaient rien à se reprocher, qui ont parfois été interpellés à plusieurs reprises en raison de leur identité sociale […], et ces gens-là commencent à voir leur confiance envers la police s’effriter », a relevé jeudi le professeur Victor Armony, du Département de sociologie de l’UQAM, qui est l’un des auteurs du rapport.
Dans ce contexte, les chercheurs ont suggéré, comme principale recommandation, qu’un moratoire soit mis en placepour « toute interpellation policière qui ne soit pas justifiée par l’enquête d’un crime spécifique ou par le soupçon raisonnable d’une activité illégale ». Cette mise sur pause des interpellations policières serait accompagnée d’un « examen approfondi de l’interpellation et de la mise en place de mesures efficaces qui réduisent significativement les risques de profilage racial dans toutes les interventions policières », proposent les quatre chercheurs.
Or, cette recommandation, pierre angulaire du rapport d’après ses auteurs, présents à la conférence de presse du SPVM, a été rejetée d’emblée par Fady Dagher, qui assure que les interpellations policières demeurent un « outil important » pour le corps de police.
« Est-ce qu’aujourd’hui, je vais annoncer un tel moratoire ? Non », a laissé tomber le directeur du SPVM, qui préfère s’attaquer au problème du profilage racial « à la source ». En ce sens, Fady Dagher a fait part de son intention de revoir les critères d’embauche des policiers pour faciliter le recrutement de personnes issues des minorités visibles. Par ailleurs, « nous sommes en train de revoir complètement nos processus de promotion » afin d’aider les policiers issus de minorités visibles à avoir accès à des postes de cadres, a-t-il souligné.
« Je ne vous le cacherai pas, nous avons un immense travail devant nous », a ajouté M. Dagher, qui a reconnu que « des années » de travail seront nécessaires avant que les efforts mis en place par le SPVM pour contrer le profilage racial livrent leurs fruits.
Déception pour les chercheurs
Les auteurs du rapport ont pour leur part critiqué jeudi la décision du SPVM de ne pas aller de l’avant avec la principale recommandation issue de leur recherche. « C’est comme si, finalement, [le SPVM] disait : oui, nous voyons qu’il y a du racisme systémique et de la discrimination, mais on va quand même continuer de la faire pour lutter contre la criminalité », a déploré en entrevue la chercheuse Mariam Hassaoui, de l’Université TÉLUQ.
« On va tout faire pour éliminer le profilage au sein du SPVM », a quant à lui réagi le responsable de la sécurité publique au comité exécutif, Alain Vaillancourt, qui s’est dit « confortable » avec la stratégie mise en place par le SPVM pour implanter des « changements en profondeur » au sein du corps de police.