Le militant anti-apartheid Jay Naidoo honoré par l’UQAM

Près de 50 ans après avoir abandonné ses études universitaires en Afrique du Sud pour devenir l’un des leaders de la lutte anti-apartheid, l’activiste Jay Naidoo reçoit un doctorat honoris causa de l’UQAM. « Je n’ai jamais terminé mes études, car j’ai choisi d’aller à ce qu’on appelle l’Université de la Vie », rigole l’homme en entrevue par vidéoconférence, à la veille de la célébration vendredi. « Je me sens comme si j’avais 16 ans à nouveau ! »
Jay Naidoo avait 4 ans lorsqu’il a été confronté à la dure réalité des politiques racistes de l’apartheid en Afrique du Sud. « On a été évincé de notre maison parce qu’on était de la mauvaise couleur, du mauvais côté de la rue », raconte-t-il en anglais. « Ça, en soi, c’est la politique qui entre dans ta vie à un très jeune âge. Ça m’a rendu très en colère d’avoir à quitter cette maison et ce quartier que j’aimais. »
En 1976, le jeune étudiant en médecine fait la rencontre de Steve Biko, un jeune leader « très charismatique » qui a changé sa vie. « Je pense que cela a été l’événement le plus important de ma propre politisation, affirme Jay Naidoo. Steve Biko embrassait le nouveau mouvement de conscience noire, qui nous donnait de la dignité. C’est ce qui renforcerait notre détermination à vaincre l’état de l’apartheid. »
Cette année-là, ils sont descendus par millions dans les rues, se rappelle-t-il. « Mais en 1977, ils ont assassiné brutalement Steve Biko et plusieurs d’entre nous avons dû nous cacher. »
La résistance des syndicats
Quelques années plus tard, dans les années 1980, Jay Naidoo prend les commandes de la plus grande centrale syndicale d’Afrique du Sud, le Congress of South African Trade Unions (COSATU). « Le syndicat est devenu, je pense, l’épine dorsale de la lutte politique en Afrique du Sud parce que la répression avait fondamentalement détruit les organisations et la résistance politique dans les communautés. Les usines étaient le seul endroit où l’État d’apartheid ne pouvait pas intervenir. Ils pouvaient occuper les townships, les écoles, les universités, mais ils ne pouvaient pas entrer dans chaque usine. »
En 1994, à la demande de Nelson Mandela, il se joint au cabinet du tout premier président noir d’Afrique du Sud à titre de ministre de la Reconstruction et du Développement puis comme ministre des télécommunications et de la radiodiffusion.
« Jay Naidoo a ensuite mené plusieurs projets d’envergure de développement social et de lutte contre la pauvreté et l’analphabétisme », résume l’UQAM dans le communiqué de presse annonçant la distinction. « De toutes ses réalisations, Earthrise Trust est velle qui révèle le mieux son profond humanisme. En 2013, il a donc investi tous ses avoirs dans l’achat d'une parcelle de terre à un fermier blanc pour y établir une coopérative de paysans noirs dépossédés par l’apartheid ainsi qu’une garderie et une école. Cette initiative est reconnue comme un modèle de réconciliation raciale en Afrique du Sud. »
Il a été nommé en 2013 dans le palmarès des 100 Africains les plus influents par le magazine New African.
« Jay ne le dira pas, car il est trop modeste, mais pendant la dernière décennie de la lutte anti-apartheid, Jay était peut-être la personne la plus importante à l’intérieur du pays », souligne Dan O’Meara, professeur à l’université du Québec à Montréal. C’est lui qui a suggéré la candidature de Jay Naidoo comme récipiendaire d’un doctorat honoris causa. À l’époque, Dan O’Meara, lui aussi originaire de l’Afrique du Sud, était en exil et menait la lutte anti-apartheid à partir de Montréal. C’est là que les deux hommes se sont rencontrés en 1987.
Quand la journaliste québécoise Lucie Pagé est partie pour l’Afrique du Sud couvrir la libération de Nelson Mandela, Dan O’Meara lui a suggéré de rencontrer Jay Naidoo. Devant leurs écrans respectifs, les deux hommes rient en évoquant ce souvenir. « Je n’avais pas pensé à ce moment qu’il y aurait un lien amoureux qui se développerait entre les deux, je pensais plutôt à une connexion intellectuelle ! »
L’échec du système
Aujourd’hui, Jay Naidoo et sa femme, Lucie Pagé, vivent sur deux continents, un pied dans les Cantons-de -l’Est – où il tente d’apprendre le français — et l’autre à Johannesburg. Ils ont trois enfants – deux en Afrique du Sud et un au Québec – et trois petits-enfants. À travers eux, le grand-père de 68 ans redécouvre la magie de l’enfance, celle qu’il n’a pas pu vivre en raison de la couleur de sa peau. « J’appelle mes petits-enfants mes gardiens de la sagesse, dit-il d’un ton empreint de tendresse. Ils me rappellent pourquoi je me lève le matin, de l’importance de leur laisser un monde meilleur. »
Jay Naidoo met beaucoup d’espoir dans la prochaine génération, appelée à changer le monde. Il parle de la crise climatique, de la crainte d’un conflit mondial et d’une guerre nucléaire, de l’autoritarisme, de la répression, des intérêts privés qui « déterminent comment nos gouvernements agissent ». Il évoque la perte de confiance des jeunes dans les institutions et dans la démocratie même. En parallèle, il voit une augmentation de la pauvreté et des injustices à l’échelle planétaire. « Tout cela représente ce que j’appelle une tempête parfaite de l’échec du système ».
Dans des écrits récents, Jay Naidoo met en cause l’efficacité, voire la dangerosité des vaccins contre la COVID et va même jusqu’à indiquer que la censure par les gouvernements et les compagnies pharmaceutiques envers ceux qui osent poser des questions lui rappelle l’époque de l’apartheid.
« Je ne suis pas contre les vaccins, mais je fais une distinction avec le vaccin de la COVID. Je crois qu’on devrait faire une pause et avoir un débat public autour de cet enjeu, répond-il en entrevue au Devoir. Je pose des questions, et je crois que c’est mon droit fondamental, un droit pour lequel je me suis battu toute ma vie et personne ne viendra me l’enlever. »
Il préfère toutefois rester, dans le cadre de cette entrevue, sur le sujet du jour et revient rapidement sur son attachement à l’UQAM, l’alma mater de sa femme et d’un de ses fils. « Ça devient une affaire familiale », rigole-t-il.
Il est d’autant plus honoré que cette reconnaissance vienne d’une université canadienne, un pays qui « s’est levé debout quand la majorité des pays de l’Ouest sont restés silencieux ou appuyaient ouvertement l’apartheid », précise-t-il, exhortant la population mondiale à renouer avec cette solidarité pour aider les plus vulnérables.
Dans son discours de remerciement, il revient sur l’urgence d’agir, de repenser la gouvernance en donnant une voie aux différentes cultures et nations, en accord avec la nature. « Je fais partie d’une génération qui était prête à mourir pour notre liberté. Dans ce monde turbulent où la méfiance à l’égard des dirigeants institutionnels est à son comble, la prochaine génération doit se demander pour quoi elle est prête à vivre. »