Une longue nuit pour les évacués de Chibougamau

« Il a fallu trouver des lits pour accueillir entre 700 et 1000 personnes », explique le maire de Roberval, Serge Bergeron.
Photo: Francis Vachon Le Devoir « Il a fallu trouver des lits pour accueillir entre 700 et 1000 personnes », explique le maire de Roberval, Serge Bergeron.

La nuit a été longue et stressante pour plusieurs résidents de Chibougamau qui ont été forcés d’évacuer la ville en catastrophe mardi soir en raison des feux de forêt.

Louise Lizotte avait les traits tirés mercredi matin devant son écran. Comme plusieurs autres sinistrés, elle avait passé la nuit sur la route pour se rendre chez des membres de sa famille à Roberval.

Lorsque sa nièce l’a informée en soirée qu’il lui fallait évacuer les lieux, Mme Lizotte a d’abord eu un moment de doute. « Mais je l’ai crue, car elle n’est pas le genre à paniquer pour rien », explique-t-elle au Devoir par vidéoconférence. Quelques minutes plus tard, la mairesse confirmait l’ordre d’évacuation.

« Mon premier réflexe, ça a été d’essayer de rejoindre mon fils et ma soeur, qui n’ont pas de véhicule pour quitter la ville. C’était ça, ma priorité. Le reste, ce n’est pas grave, on est assurés. C’étaient les humains, les animaux, et ensuite les bagages. »

Son chat, son chien et celui de sa soeur ont fait le voyage eux aussi. « La mairesse a dit de laisser nos animaux, mais je ne voulais pas laisser les animaux derrière. » Son chum suivait dans un autre véhicule avec un des employés de leur restaurant, qui était lui aussi sans voiture.

J’ai juste la bouffe de mon chien : je n’ai pas mon rasage, je n’ai pas amené mes affaires, j’étais stressé et je me disais que ça ne se pouvait pas

 

C’était la cohue à la station d’essence, où elle a dû attendre plus de 30 minutes pour faire le plein. Car entre Chibougamau et La Doré, petit village du Saguenay–Lac-Saint-Jean près de Saint-Félicien, il n’y a pas de station d’essence. Impossible, donc, de prendre la route sans un réservoir plein. « Ça a pris deux heures juste pour sortir de la ville ! » s’exclame-t-elle.

Le trajet jusqu’à La Doré prend généralement un peu plus de deux heures. Mais la nuit dernière, Mme Lizotte a mis huit heures à parcourir les 211 kilomètres qui séparent les deux villes.

« Ça n’avançait pas. C’était tellement long, on avait envie de virer de bord, mais on n’avait pas le choix. La voie inverse était réservée aux véhicules d’urgence. »

Au centre d’accueil d’urgence dressé à l’aréna municipal de Roberval, mercredi, plusieurs évacués racontent une traversée aux allures irréelles. « Il y avait des policiers au milieu de la route qui attendaient avec des bidons d’essence pour s’assurer que les autos ne manquent pas de carburant », raconte Abdoulaye Gueye, 22 ans, débarqué il y a à peine un mois de son Sénégal natal pour atterrir dans une saison des feux déjà historique au Québec.

« Une très longue nuit »

Mme Lizotte n’est pas la seule à avoir passé la nuit sur la route. « Ça a été une très longue nuit ! » affirme Janna Couturier, 21 ans. Avec son conjoint, leurs deux chats et leur chien — leurs « bébés », précise-t-elle —, ils ont mis le cap sur la ville de Québec, où ils sont arrivés au petit matin.

« C’était très stressant, on n’était pas préparés à ça, on n’avait eu aucune information avant ça pour nous dire de nous préparer à évacuer. Et là, à 20 h, on a su qu’il fallait partir là, maintenant. »

La veille, le ciel était orangé, une odeur de brûlé flottait dans l’air et une pluie de cendres avait laissé des traces un peu partout dans la ville. Mais mardi, tout semblait normal. En soirée, le ciel était gris. Et puis, tout d’un coup, ce fut la panique. « J’ai jamais vu mon village aussi actif. C’était fou. Tout le monde était dehors en train de paqueter leur char, c’était vraiment comme l’apocalypse. »

Sylvain Marcil, lui, se préparait à aller travailler quand sa famille l’a avisé qu’il fallait évacuer la ville. « Au début, j’ai dit : “Ben non, il ne se passe rien, le voisin passe la tondeuse !” » Mais il s’est vite rendu à l’évidence. Il fait partie des « chanceux » qui avaient déjà un réservoir plein. Grâce à cet avantage stratégique, il a été l’un des premiers à pouvoir quitter la ville, avec sa femme, leurs deux enfants et leur chien. « Ça nous a pris juste quatre heures pour faire les 200 kilomètres jusqu’à La Doré », se réjouit-il.

Photo: Page Facebook de Sylvain Marcil Il a fallu beaucoup de patience aux résidents de Chibougamau qui ont été contraints de quitter leur ville mardi soir. Plusieurs ont passé la nuit sur la route.

M. Marcil se décrit comme quelqu’un qui n’est « pas stressé de nature ». Mais sa fille Rebecca, 16 ans, l’était davantage. « Le fait de tout laisser derrière, on ne sait pas ce qui va se passer avec la ville, raconte-t-elle. Ça m’a quand même fait peur, mais mes parents ont su me rassurer. »

Elle se désole de manquer son bal des finissants, prévu samedi, et espère qu’il sera remis quand la situation le permettra. En attendant, elle n’a pas pris de risque… Elle a apporté sa robe de finissante dans ses bagages pour être certaine qu’elle ne passe pas au feu !

Un lendemain sans sommeil

C’est une journée sans repos qui attendait plusieurs déplacés de Chibougamau au bout de cette pénible nuit. Mercredi en fin de journée, la centaine d’évacués encore présents à l’aréna de Roberval tentaient tant bien que mal de passer le temps, tous incapables de dormir au milieu du brouhaha et des néons. Certains demeuraient rivés à leur téléphone, d’autres patientaient en jouant aux cartes sur un lit de camp.

Une revue à la main et sa petite shih tzu Zia à ses pieds, Mario Pearson avoue n’avoir « jamais vu une affaire de même ».

« Il me manque tout, explique-t-il. J’ai juste la bouffe de mon chien : je n’ai pas mon rasage, je n’ai pas amené mes affaires, j’étais stressé et je me disais que ça ne se pouvait pas, que c’était une joke ! »

Photo: Francis Vachon Le Devoir En soirée mercredi, l'aréna municipal de Roberval accueillait une centaine de personnes, qui ont dû évacuer leur résidence.

La nuit fut aussi courte pour le conseil municipal de Roberval.

 

« Il a fallu trouver des lits pour accueillir entre 700 et 1000 personnes, explique le maire Serge Bergeron. Ces gens-là arrivaient fatigués, certains avec des bébés, d’autres âgés, ou malades, ou avec des animaux. C’est terrible ce qu’ils vivent ; la moindre des choses, c’est de les accueillir comme du monde. »

Les paupières du maire tombent de sommeil entre deux phrases. Lui non plus, il n’a pas dormi depuis mardi matin. « Pour l’instant, ça va. Disons que c’est l’adrénaline », explique-t-il. Son téléphone sonne : c’est l’heure d’une autre entrevue qui vient, avec tout le reste, retarder celle de son repos.

Sébastien Tanguay est à Roberval.

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