Un écocentre de Mirabel enfouit des matériaux de construction en zone agricole
Débris de démolition. Résidus de construction. Morceaux de plastique et de verre. Le gestionnaire d’un écocentre de Mirabel, Service de recyclage Sterling (SRS), utilise des matériaux qu’il reçoit pour remblayer une terre agricole à l’arrière de son centre de tri de Saint-Canut afin d’étendre ses activités, a découvert Le Devoir. Cette pratique contrevient aux normes agricoles du Québec.
Pendant plus d’un mois, Le Devoir a suivi les travaux de remblayage qu’effectue SRS sur une terre agricole qu’il possède à Saint-Canut, derrière son centre de tri. L’entreprise, qui gère l’un des quatre écocentres de Mirabel, agrandit sa surface d’entreposage, selon les informations données par la Ville. Chaque année, près de 4300 résidents de la municipalité y délestent 1250 tonnes métriques de matières résiduelles.
Des images que nous avons captées avec un drone, le 29 mai dernier, confirment l’avancée des travaux de remblai que SRS effectue en zone agricole depuis des semaines. On y voit un bulldozer sortant du centre de tri déverser, dans un nuage de poussière, des résidus dans un bosquet situé à proximité d’un ruisseau.
Plus loin, un autre bulldozer trône sur un plateau dont la superficie équivaut à près de cinq terrains de football. Depuis un mois, ce tracteur y compacte des débris de construction et de démolition — béton, briques, fragments de cuvettes de toilette, etc. — ainsi qu’une matière composée de résidus de plastique, de verre, de copeaux de bois et de styromousse.
À quelques mètres de là gisent une vingtaine d’amas de terre qui seront sous peu étendus pour couvrir ces résidus. « Ça ressemble à du camouflage, parce qu’ils cachent les matières en les enterrant, en mettant de la terre par-dessus », dit Karel Ménard, directeur du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets.
Au Québec, le remblai en terre agricole ne peut se faire qu’avec du sol cultivable de très bonne qualité. Toute autre matière est prohibée. Aucun remblai ne peut être réalisé sans le feu vert de la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ) et sans avoir été prescrit par un agronome.
Sans autorisation en zone verte
L’entreprise Service de recyclage Sterling possède-t-elle une autorisation de la CPTAQ pour effectuer de tels travaux sur sa terre agricole ? Le propriétaire Joé Miller n’a pas répondu à nos demandes d’entrevue. « Il est occupé, il n’a pas le temps, il est débordé », a répondu un gestionnaire du site, lors de la troisième tentative du Devoir.
Pour sa part, la CPTAQ a indiqué par courriel « avoir autorisé la mise en place de nouvelles plateformes de broyage de bois, de valorisation de terres contaminées, le tri de matériaux secs et de broyages de béton » sur cette terre. Elle ajoute cependant « qu’aucune autorisation n’a été octroyée pour du remblai à proprement parler » et qu’elle n’a « pas autorisé de tels matériaux pour remblayer ».
Refusant de commenter davantage ce cas, le gardien des terres cultivables explique que le remblai vise normalement un retour en état d’agriculture et doit être « fortement terreux et exempt de souches, béton, asphalte, résidus de construction ou autres débris ». La Commission assure qu’elle « ne délivrera jamais de permis » pour le remblai d’« une terre agricole avec de tels matériaux ».
L’opération est énorme. Ce n’est pas juste un petit tas qu’on cache dans le fond d’un rang. C’est fait de façon systématique, de façon quasi industrielle. Je n'arrive pas à comprendre que personne n'ait levé le drapeau, que la ville ou le ministère de l'Environnement n'aient pas été mis au courant.
Le Devoir a soumis des photos et des vidéos des activités de SRS à six experts issus des secteurs des matières résiduelles et de l’agronomie. Tous confirment que les matériaux utilisés devraient plutôt être envoyés dans un centre pour être recyclés ou dans un lieu d’enfouissement technique, où on achemine ce qui ne peut être recyclé.
« On a vraiment l’impression qu’ils sont sur un site d’enfouissement et qu’ils gèrent leurs diverses matières à éliminer en remodelant le paysage à leur guise », lance avec étonnement Sébastien Sauvé, professeur de chimie environnementale et vice-doyen à l’Université de Montréal.
« C’est vraiment inquiétant quand ça se passe dans une zone agricole et qu’on remblaie à proximité d’un ruisseau avec des impacts inconnus sur les milieux humides environnants, sur la qualité de l’eau du ruisseau et de l’eau souterraine », ajoute ce spécialiste de l’eau et des contaminants de l’environnement.
« Ce n’est pas juste un petit tas qu’on cache »
En mai, la Ville de Mirabel a renouvelé un contrat avec SRS pour la gestion de l’écocentre. L’entente de trois ans a une valeur de 331 500 $. La municipalité a assuré au Devoir qu’elle « n’était pas au courant » des activités de remblayage ayant cours à l’arrière de l’écocentre de Saint-Canut.
Des inspecteurs municipaux ont été envoyés au centre de tri la journée même où Le Devoir a tenté sans succès de parler au maire de Mirabel, Patrick Charbonneau. Lors de cette visite, SRS a dit aux représentants de la Ville détenir « certaines autorisations de faire du remblai avec des matériaux inertes », écrit par courriel Valérie Sauvé, la directrice des communications de la Ville de Mirabel.
L’administration municipale indique que l’entreprise a un certificat d’autorisation valide du ministère de l’Environnement pour des travaux d’agrandissement de son aire d’entreposage. Le ministère n’avait pas répondu au Devoir concernant SRS au moment où ces lignes étaient écrites.
Par ailleurs, Service de recyclage Sterling n’a pas fait de demande de permis auprès de la municipalité pour ces travaux. « C’est ainsi que nous pourrons contrôler que le tout se fait à l’intérieur de la zone autorisée par la CPTAQ et avec des matériaux autorisés », écrit Mme Sauvé.
Elle soutient que les autorités municipales prennent « tous les moyens à leur disposition » pour faire respecter la réglementation. Le site de l’écocentre est visité « plusieurs fois par semaine » par la Corporation pour la protection de l’environnement de Mirabel, une société affiliée à la Ville dont le maire assure la présidence, selon le Registre des entreprises.
« Des vérifications plus poussées seront assurément réalisées dans les jours à venir, et au besoin, des mesures seront prises », ajoute-t-elle.
Qu’un gestionnaire d’écocentre soit à la source de telles activités de remblayage en zone agricole alimente le cynisme, s’attriste Karel Ménard, du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets.
« D’autant plus que l’opération est énorme. Ce n’est pas juste un petit tas qu’on cache dans le fond d’un rang. C’est fait de façon systématique, de façon quasi industrielle, déplore M. Ménard, qui impute une partie de la responsabilité aux autorités. Je n’arrive pas à comprendre que personne n’ait levé le drapeau, que la Ville ou le ministère de l’Environnement n’aient pas été mis au courant. »
M. Ménard souligne que ce remblayage contraste avec les prétentions environnementales de SRS. Sur son site Internet, l’entreprise de Joé Miller se présente comme un « pionnier dans le domaine du recyclage et de la revalorisation ». Son approche « avant-gardiste », peut-on lire, permettrait « d’éviter l’enfouissement des déchets ».
Une entreprise à numéro, appartenant aujourd’hui à Joé Miller, a déjà été avertie par la CPTAQ dans le passé. En 2014 et 2015, un avocat de la Commission a transmis des préavis d’ordonnance à une des société qu’elle détient en lien avec la coupe d’érables sur 1,35 hectare, soit l’équivalent de près de 20 % de l’érablière située à l’extrémité sud de la terre agricole appartenant à l’entreprise.
En 2021, l’entreprise ne s’étant pas pliée aux exigences, la CPTAQ lui a ordonné de produire un rapport d’ingénieur forestier et de reboiser l’érablière. En février dernier, la CPTAQ a fermé le dossier relatif à cette coupe d’érables à la suite d’un rapport agroforestier affirmant que 1500 semis d’érables avaient été plantés en novembre 2022.
Mise à jour : Une version précédente de ce texte a été modifiée pour ajouter des précisions concernant la coupe d’érables sans autorisation. Il avait été écrit que Service recyclage Sterling (SRS) en était responsable. Or, la CPTAQ a plutôt reproché ces faits à 9082-0382 Québec, société propriétaire du terrain qui, à l’instar de SRS, appartient à Gestion M. Miller détenue par Joé Miller. En février dernier, la CPTAQ a fermé le dossier relatif à cette coupe d’érables à la suite d’un rapport agroforestier affirmant que 1500 semis d’érables avaient été plantés en novembre 2022.