Un «joyau de la nation innue» détruit par les feux de forêt sur la Côte-Nord

Les pompiers de la SOPFEU ont bien tenté d’empêcher l’avancée du brasier, mais sans succès. La pourvoirie Moisie-Nipissis, propriété du gouvernement innu d’Uashat-Maliotenam depuis à peine cinq ans, a complètement brûlé. Parmi les évacués de cette communauté non loin de Sept-Îles, la solidarité règne.
L’incendie sur 350 km2 au nord de Sept-Îles a englouti samedi le complexe de dix bâtiments construits en pleine forêt au croisement de la rivière Moisie et de la rivière Nipissis. Cet endroit était un « joyau de la nation innue », se désole André Michel, le directeur du Bureau de la protection des droits et du territoire du Conseil de bande. « Sur le plan du développement économique, c’était vraiment important. […] Et ça parle vraiment de notre culture, la pêche au saumon. »
Le lieu enchanteur a fait l’objet d’une guerre sourde durant des années entre les propriétaires québécois et les Innus. Ces derniers furent régulièrement expulsés de la rivière par les exploitants, lorsqu’ils tentaient de pêcher dans les environs.
Le Conseil de bande a finalement mis la main sur l’ensemble de la pourvoirie, en 2018, après l’intervention de Québec.
La perte de ces installations, d’une valeur de plus d’un million de dollars, ébranle la communauté. « Même le poteau de fibre optique qui se rendait sur place a été détruit. Tout a été brûlé », confirme M. André. La reconstruction est déjà prévue, bien que la saison de pêche risque d’être gravement compromise.
Ses concitoyens de Maliotenam ont tous dû être évacués, les flammes s’approchant dangereusement des habitations du village. Un panache de feu était clairement visible à l’horizon de Sept-Îles, dimanche. Environ 250 résidents de Maliotenam ont trouvé refuge dans la communauté voisine de Pessamit, à deux heures de route de là.
Christian Rock, des communications de Pessamit, s’affaire depuis vendredi à accueillir tout ce monde. « C’est quasiment 300 personnes de plus. On va espérer qu’il n’y aura pas une autre évacuation », craint-il, bien qu’il se dise prêt à toute éventualité.
La moitié de ces déplacés ont trouvé refuge « chez des amis ou de la parenté », et des activités ont été organisées pour distraire ces visiteurs. « C’est beau à voir, dit-il au téléphone. Les liens sont très forts, sont tissés fort. »
Dimanche soir, la Ville de Sept-Îles a précisé que l’ordre d’évacuation serait reconduit pour au moins 24 heures. La Direction de santé publique de la Côte-Nord a également émis un avis de « possible mauvaise qualité de l’air » pour la nuit de dimanche à lundi.
En tout, 4500 personnes ont dû quitter leur domicile sur la Côte-Nord, de même que 6500 autres personnes en Abitibi et dans le Nord-du-Québec.
Des renforts de France
Les feux de forêt n’ont cessé de gagner en intensité au Québec cette fin de semaine. Leur nombre avait atteint 157, au moment où ces lignes étaient écrites. Devant l’ampleur de la tâche, 200 soldats des forces armées canadiennes ont été dépêchés à Sept-Îles pour épauler les centaines de pompiers déjà à pied d’oeuvre.
Quelque 200 pompiers auxiliaires et 200 agents de la Sûreté du Québec suivaient dimanche une formation express pour se joindre au combat. Un total de 1000 personnes sera ainsi déployé dans les prochains jours sur la Côte-Nord et en Abitibi pour tenter de contenir ces feux.
L’armée a aussi été appelée en renfort, puisque les pompiers des autres provinces en ont déjà plein les bras avec des feux chez eux. « C’est l’ensemble canadien qui subit tout ça », a souligné le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, en point de presse dimanche matin, notant le caractère rare de cette demande.
Ce millier de personnes ne suffit pas à juguler la multiplication des foyers d’incendie. Les pompiers et les soldats ne peuvent lutter que contre 35 feux à la fois, faute d’effectifs. « Toutes nos ressources sont concentrées sur ces 35 feux présentement », a précisé M. Bonnardel.
Québec doit donc se tourner vers d’autres pays, dont les États-Unis, le Chili et le Portugal, pour de l’aide. C’est la France qui a répondu présente en premier. Une centaine de pompiers seront dépêchés pour « combattre les flammes aux côtés de leurs camarades québécois », a confirmé le président français, Emmanuel Macron, dimanche. « Merci Cousins ! », a réagi François Legault, sur Twitter.
Merci cousins! https://t.co/Kfb4Ct1N4R
— François Legault (@francoislegault) June 4, 2023
La route 389 fermée
Plusieurs routes demeurent fermées en raison des incendies. Le ministère des Transports du Québec a notamment annoncé, dimanche soir, que la route 389, sur la Côte-Nord, serait entièrement fermée pour une durée indéterminée, après avoir été partiellement fermée dimanche matin. Il s’agit du seul lien routier qui relie Fermont au reste de la province.
La Minganie demeure également isolée en raison de la fermeture du pont Touzel sur la rivière Sheldrake, par mesure préventive, aussi pour une durée indéterminée.
En Abitibi, la route 113, qui relie Senneterre et Eeyou Istchee Baie-James, demeurait fermée dimanche soir.
État d’urgence
Le pire est peut-être encore à venir en Abitibi, où le gouvernement maintient sa « haute surveillance » sur les 31 incendies de forêt en activité. Deux municipalités ont déjà reçu un ordre d’évacuation.
« Pour l’instant », il n’y a « aucune inquiétude » sur le fait qu’un feu pourrait atteindre une municipalité comme Val-d’Or dans un avenir proche, a précisé le ministre Bonnardel.
Toutefois, la Ville de Val-d’Or a annoncé samedi soir l’évacuation de plusieurs secteurs. L’état d’urgence a été déclaré, et les évacuations y sont obligatoires, à l’instar de certains quartiers de Sept-Îles il y a quelques jours. Plus tôt, les secteurs de Lebel-sur-Quévillon et de Lac-Simon avaient aussi été évacués.
Qui plus est, le CISSS de la Côte-Nord a confirmé samedi que près d’une cinquantaine de personnes avaient été transportées par les airs pour être soignées dans des hôpitaux de Montréal ou de Québec.
La moitié des feux actifs ont été allumés par « l’activité humaine », selon la SOPFEU. Québec a élargi l’interdiction de se rendre en forêt pour éviter le risque de provoquer de nouveaux incendies. Non seulement la Côte-Nord et l’Abitibi sont visées par cette mesure draconienne, mais aussi tout le territoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean, le nord de Lanaudière et des Laurentides ainsi qu’une partie de l’Outaouais et de la Mauricie. « C’est important en ce moment de ne pas aller en forêt sur tout le territoire du Québec », a rappelé la ministre des Ressources naturelles et des Forêts, Maïté Blanchette Vézina.
Des précipitations devraient bientôt venir en aide aux pompiers et aux évacués. Trois jours de pluie sont attendus à partir de mardi prochain sur la Côte-Nord. Le temps sec devrait se poursuivre cependant en Abitibi.