Les piétons ont conquis le Plateau-Mont-Royal

Les deux plus grandes artères du quartier le plus densément peuplé du Canada n’accueillaient que des piétons sur leur chaussée cette fin de semaine pour la première fois dans l’histoire récente de Montréal. Des dizaines de milliers de personnes ont ainsi envahi la rue Saint-Denis et l’avenue du Mont-Royal, ce qui marque un tournant dans la piétonnisation de la métropole.
L’avenue du Mont-Royal, ouverte aux piétons trois semaines plus tôt que l’an dernier, croisait ainsi une section de Saint-Denis fermée à la circulation pour le Festival BD de Montréal. Jamais ces deux tronçons n’avaient été fermés à la circulation en même temps.
« Les premières impressions, c’est que l’une nourrit l’autre », avance en entrevue le maire de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, Luc Rabouin, qui confirme le succès de l’aventure lancée en urgence en 2020.
« Au début, il fallait prouver qu’[interdire une rue aux voitures] valait la peine. On a fait des études économiques sur l’impact des ventes, et pas seulement pour les restaurants et les bars. »
Le résultat est clair : « ce n’est pas 100 %, mais en général c’est bon pour les affaires ». L’achalandage augmente et le nombre de commerces réticents diminue chaque année. « Il y a des commerces qui viennent s’installer pour ça », observe même le maire de l’arrondissement.
« En 2018, le taux de locaux vacants [sur l’avenue du Mont-Royal] était de 14,5 %. Il est rendu à 5,5 % », renchérit le directeur général de la Société de développement de l’avenue du Mont-Royal, Claude Rainville.
« Impensable » il y a tout juste cinq ans, selon lui, la piétonnisation croissante prouve sa valeur. « Si on se tenait au coin Mont-Royal et Saint-Denis, aux quatre coins cardinaux, il y avait une foule incroyable. On est en train de s’approprier l’espace collectif. »
S’adapter à l’échelle humaine
« Le 450 débarque sur l’avenue du Mont-Royal. » Cette boutade, le propriétaire de Pignon sur roues, l’a souvent entendue dans le passé. « Ce n’est pas péjoratif, mais il y avait une activité la fin de semaine qu’on n’a pas aujourd’hui », relève Sylvain Lalonde et ses 28 printemps d’expérience dans la vente de vélos.
Cette époque a bien changé. C’était avant le DIX30. Avant les achats en ligne. La clientèle devient « de plus en plus locale » avec le temps.
Malgré un besoin d’« ajustement constant », il se réjouit de voir ces clients arriver à pied plutôt qu’en voiture, à l’instar de l’essentiel des commerçants interrogés par Le Devoir. Certains d’entre eux, par contre, n’y trouvent pas du tout leur compte.
Alexandr Fedorov fait partie de ceux-là. Le propriétaire d’Antiquités et monnaies Odessa « fait affaire avec des clients de partout à Montréal, au Canada », maugrée-t-il, accoté à la devanture de son commerce. « Ils ne peuvent plus trouver de stationnement nulle part. […] Deux jours par semaine, c’est plein de monde, mais cinq jours par semaine, il n’y a personne. »
Sinon, dur de croiser un Montréalais à qui cette rue piétonne déplaît lors d’un dimanche après-midi ensoleillé.
Bien des habitants du secteur souhaiteraient même des saisons piétonnières plus longues. Sébastien Picard, rencontré par Le Devoir, affirme télétravailler depuis peu sur l’avenue du Mont-Royal. « Les tables sont plus propres que dans les parcs », note le jeune père de famille. Il lance même l’idée de piétonniser la voie pendant l’hiver. « Une grande piste de ski de fond d’ici jusqu’à la montagne, ça serait super ! »
Dix rues montréalaises resteront piétonnes cet été, et l’avenue du Mont-Royal durant quatre mois plutôt que trois. Mais cette priorité aux marcheurs ne se prolongera pas au-delà de la rentrée de septembre, affirment les responsables politiques. Le nombre de rues piétonnes pourrait cependant augmenter.