Réapprendre sa langue maternelle à l’école

Peut-on perdre sa langue maternelle ? Pour de nombreux enfants issus de l’immigration au Québec, le français prend le dessus dans leur quotidien, jusqu’à faire d’eux des bilingues passifs — c’est-à-dire qu’ils peuvent comprendre la langue de leurs parents sans être capables de la parler. Le Devoir vous présente les portraits de Québécois qui ont voulu se la réapproprier. Aujourd’hui : les parcours d’Emmanuel De Medeiros, d’origine portugaise, et de Hind Obad, d’origine marocaine.
Emmanuel est le « petit dernier » de sa famille : c’est le seul de sa fratrie de cinq à être né à Montréal, six ans après que sa famille eut émigré du Portugal, en 1986. Pendant que ses frères et sa soeur l’apprenaient « à la dure » en classe d’accueil, le français s’est développé naturellement pour Emmanuel lors de son entrée à l’école.
« Mais à la maison, on parlait toujours portugais. C’était la langue la plus facile pour mes parents, mais aussi la langue que mes frères et ma soeur avaient le moins honte de parler », relate celui qui a 30 ans aujourd’hui.
Même s’il communiquait couramment en portugais durant son enfance, Emmanuel ressentait un certain décalage puisque contrairement au reste de sa famille, il a essentiellement appris la langue « par la force des choses » à la maison. À l’âge de 15 ans, il a décidé d’intégrer l’école portugaise pour se perfectionner.
« J’ai dû commencer mon parcours à la maternelle. J’étais avec des enfants même si j’avais 15 ans », se souvient-il. Même s’il côtoyait des élèves beaucoup plus jeunes que lui, Emmanuel n’était pas le seul de son âge à se lancer dans cette démarche. « J’ai réalisé que je n’étais pas le seul à vouloir m’améliorer dans ma langue, même si c’était ma langue maternelle. »

Les trois ans d’école portugaise qu’il a faits auront finalement porté leurs fruits puisqu’aujourd’hui, Emmanuel affirme que ses capacités à lire, à écrire et même à parler portugais se sont améliorées. Ses cours lui auront aussi permis de perfectionner son vocabulaire — chose qu’il cherchait à accomplir en raison de son accent des Açores.
Acquérir une base
Née au Maroc, Hind Obad a passé la majorité de sa vie en France. Un mélange d’arabe et de français était utilisé à la maison, mais ses occasions de parler arabe se faisaient assez rares — ce n’est qu’avec sa grand-mère qu’elle devait absolument l’utiliser pour se faire comprendre.
Ce texte est publié via notre section Perspectives.
« Plus jeune, lorsqu’on allait en vacances au Maroc, j’ai développé un complexe. Quand j’essayais de parler marocain, je parlais tout croche et ma famille se moquait de moi. Ça ne me donnait pas trop envie de l’essayer », déplore-t-elle.
Aujourd’hui, Hind comprend toujours le dialecte marocain, mais « le parle très mal, et avec un “accent francophone” assez humiliant ».
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« Le côté humiliant et ironique, c’est que c’est une langue que j’ai beaucoup entendue [durant mon enfance]. Mon prénom et mon nom de famille ont une consonance arabe très forte, mais je ne suis pas capable de prononcer [les mots] correctement », renchérit la femme de 32 ans.
L’an dernier, Hind s’est donc inscrite à des cours d’arabe littéraire pour « se réapproprier » sa langue. Elle y apprend la base — notamment à connaître l’alphabet et à commencer à lire quelques mots. Mais comme les cours s’avèrent assez prenants, elle y a mis un terme après six mois de leçons, à son grand regret.
« Comme j’ai déjà acquis une bonne base, je veux continuer », assure-t-elle. En attendant, elle garde toujours son petit carnet d’apprentissage L’arabe en 5 minutes par jour chez elle.
Une valeur à son identité
Emmanuel De Medeiros et Hind Obad sont aujourd’hui dans le même bateau : les deux jeunes trentenaires comprennent bien la langue de leurs parents, mais aspirent à poursuivre leurs efforts pour l’améliorer à l’oral. « Au final, j’aimerais pouvoir parler la langue d’où provient mon prénom », confie Hind.
Pour sa part, Emmanuel caresse le projet de déménager au Portugal avec sa conjointe prochainement. Une étape qui nécessitera un peu de rattrapage, puisque les occasions de pratiquer le portugais à l’oral se sont faites rares depuis la pandémie de COVID-19, période lors de laquelle plusieurs activités culturelles ont cessé.
« Ça affecte mon ego parce que j’avais beaucoup de fierté à m’identifier comme Portugais. Même si je suis né ici, j’ai toujours voulu m’impliquer [dans la communauté] pour qu’on me donne une valeur comme Portugais, et non comme fils d’immigré », confie-t-il.
Pour les deux, poursuivre leurs efforts pour conserver et améliorer leur langue d’héritage, même à l’âge adulte, est essentiel pour se définir dans leur identité.