La langue atikamekw dans le coeur
Peut-on perdre sa langue maternelle ? Pour de nombreux enfants issus de l’immigration au Québec, le français prend le dessus dans leur quotidien, et ils deviennent des bilingues passifs — c’est-à-dire qu’ils peuvent comprendre la langue de leurs parents sans être capables de la parler. Le Devoir vous présente les portraits de citoyens qui ont voulu se la réapproprier. Aujourd’hui : le parcours d’Alexandre Nequado, issu de la communauté atikamekw de Manawan.
Toutes les langues autochtones parlées au Canada sont considérées comme étant à risque et classées dans les catégories de langue vulnérable, en danger, sérieusement en danger ou en situation critique, selon l’Atlas des langues en danger dans le monde de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO).
Cette réalité, Alexandre Nequado la connaît. Aujourd’hui âgé de 34 ans, il se souvient de son enfance à Manawan, puis de son déménagement à Trois-Rivières en 3e année du primaire. C’est à ce moment-là qu’il a commencé à se détacher de sa langue maternelle, l’atikamekw, pour adopter rapidement le français.
« J’étais devenu un petit francophone. Les jeunes se moquaient de moi parce que j’avais un accent québécois quand je parlais en atikamekw », relate-t-il en entretien avec Le Devoir.
À l’adolescence, cette fracture est devenue encore plus importante. C’est normalement à cet âge-là que les jeunes Atikamekw commencent à apprendre le « langage du territoire », soit un niveau plus avancé. « Ça, je ne l’ai jamais eu », déplore Alexandre.
Ce n’est qu’à l’âge de 25 ans qu’une occasion professionnelle a complètement changé son rapport à l’atikamekw.
Réapprendre pour traduire
En 2015, une amie l’approche pour lui offrir un contrat de traduction. Elle avait eu vent qu’une émission de télévision cherchait une personne pour traduire un segment en atikamekw vers le français.
De prime abord, Alexandre ne se sentait pas assez confiant pour accepter l’offre. « Mais puisque c’était payant, je me suis dit que j’allais essayer », admet-il.
Dès lors, il a recommencé à interagir avec les aînés de sa communauté, pour réapprendre à parler. « J’ai commencé à poser des questions, à demander comment on disait certains mots. Et si le mot n’existait pas, je demandais comment on pourrait l’inventer en atikamekw », raconte-t-il.
Inventer, car l’atikamekw, tout comme les autres dialectes algonquins ou anichinabés, est très imagé. Par exemple, le mot « kokokoho », pour désigner une chouette, fait référence à son cri.
Au fil de ses années de travail en traduction, Alexandre apprend à redécouvrir sa langue maternelle sous un nouveau jour. « Avant, je pensais qu’il y avait toujours un mot atikamekw pour chaque mot français. J’ai une vision beaucoup plus imagée de ma langue aujourd’hui », dit-il.
Travailler pour la prochaine génération
Aujourd’hui, Alexandre poursuit la traduction, en plus de faire de la narration et de la surimpression de voix pour diverses séries télévisées sur la chaîne APTN. Mais celui qui deviendra père prochainement s’est donné une mission supplémentaire : créer du contenu en atikamekw pour la prochaine génération.
« J’aimerais que mon enfant puisse entendre l’atikamekw dès son plus jeune âge. Puisque je vis en ville [à Montréal], je sais que l’exposition à la langue va être difficile, il va devoir aller dans la communauté pour l’entendre. »
« Si je n’ai pas le choix, je vais moi-même créer le contenu. Ça pourrait être de petites comptines, ou simplement des mots de la forêt, des animaux… Tout ça, on n’a pas ça en ligne », dit-il.
Le manque de ressources en atikamekw en ligne s’expliquerait notamment par le mince bassin de personnes qualifiées — et à l’aise — pour produire du contenu. À l’instar d’Alexandre quand il était plus jeune, de nombreux jeunes de la communauté n’ont pas une maîtrise suffisante de la langue pour créer du matériel.
Au-delà du contenu pour enfants, le jeune leader autochtone ne ferme pas la porte à l’idée de traduire du contenu pour l’ensemble de sa communauté, comme des chansons, des légendes ou même des vidéos de motivation. La sensibilisation à la culture et à la sauvegarde de l’atikamekw est aujourd’hui une mission qu’il porte fièrement « dans le coeur ».