Les immigrants temporaires parlent-ils français?

Jusqu’à récemment presque absents des discours politiques, les immigrants temporaires émergent maintenant dans l’espace public à cause de la langue qu’ils parlent… ou qu’ils ne parlent pas. Alors que le gouvernement caquiste s’apprête à annoncer des réformes en immigration vouées à attirer plus de candidats francophones, Le Devoir a mis les temporaires sous sa loupe. Dans ce texte : les obstacles pour apprendre le français.
« On ne peut pas tolérer qu’ils anglicisent le Québec », a récemment déclaré à propos des immigrants temporaires le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge. Le lendemain, le premier ministre François Legault se disait « préoccupé » par la hausse du nombre de temporaires et a affirmé qu’il songeait à imposer des exigences en français à cette catégorie d’immigrants.
Le chiffre de 346 000 temporaires a alors été évoqué ; il s’agit de l’effectif de résidents non permanents, c’est-à-dire le nombre de personnes dotées d’un permis assorti une date d’expiration qui se trouvaient sur le territoire au début de 2023. La population du Québec a ainsi connu en 2022 sa plus forte croissance annuelle des 50 dernières années, entraînée en grande partie par la hausse de l’immigration temporaire, selon le bilan démographique de l’Institut de la statistique du Québec paru mercredi.
Ils ne sont pas pour l’instant soumis à des exigences en français à leur arrivée. Pour l’obtention de la résidence permanente, la connaissance de la langue est toutefois incontournable. Les deux plus grands programmes destinés aux immigrants économiques au Québec ont en effet des critères linguistiques.
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Qui sont les immigrants temporaires ?Pour le Programme de l’expérience québécoise, qui s’adresse directement aux travailleurs temporaires et aux étudiants étrangers, une attestation de niveau intermédiaire (B2 ou niveau 7) est obligatoire.
Quant au Programme régulier des travailleurs qualifiés, il fonctionne par pointage, plutôt que par critères éliminatoires. La connaissance du français donne cependant plus de points en comparaison des autres critères : un niveau maximal vaudrait par exemple 180 points, soit plus qu’une expérience de travail de quatre ans (100 points) ou un doctorat (90 points).
« Ce qu’on peut remarquer est qu’effectivement, en proportion, les temporaires sont moins nombreux que les immigrants économiques à déjà connaître le français avant d’arriver », note Stéphanie Arsenault, professeure de travail social à l’Université Laval. Dans une étude récente, elle a toutefois conclu que les immigrants temporaires sont souvent « trop captifs » de leur emploi pour obtenir le niveau de français exigé par Québec.
Mais ce n’est pas un manque de volonté, observe la chercheuse : « Ces gens souhaitent apprendre le français, car ils constatent dans leur vie quotidienne qu’ils en ont besoin. » Tant « pour réaliser leur travail au meilleur de leurs compétences » que pour « progresser professionnellement » et socialiser, les temporaires se lanceraient volontiers dans la francisation, selon ses recherches.
Les organismes « ne manquent pas de temporaires qui souhaitent faire l’effort de se franciser », rapporte quant à elle Claudine Uwingabiye, cheffe d’équipe du volet francisation pour l’organisme Accueil liaison pour arrivants. À eux seuls, ils forment 90 % des classes offertes grâce au financement de Québec, évalue cette responsable. En quelques jours, par exemple, plus de 400 personnes se sont inscrites pour la prochaine session d’été.
Obstacles
Les besoins financiers passent cependant avant la francisation pour plusieurs de ces temporaires, surtout les demandeurs d’asile, dit Mme Uwingabiye. « Ils ont souvent des besoins assez pressants et donc ils partent quand ils reçoivent leur permis de travail », explique-t-elle. Parfois pour revenir, parfois pas. Elle rappelle qu’ils n’ont pas droit aux allocations financières pour la francisation ni aux services de garde subventionnés.
« Même si le français devenait leur priorité, au-delà de subvenir à leurs besoins de base, encore faudrait-il qu’ils y aient accès », note quant à elle Aline Lechaume, professeure au Département des relations industrielles de l’Université Laval. Dans plusieurs régions, les places en francisation ne suffisent pas à la demande et l’attente à l’inscription est donc longue. Ou encore les centres d’apprentissage sont éloignés du lieu de résidence, et les immigrants temporaires ne disposent pas nécessairement d’un moyen de transport.
« Il n’existe pas non plus de contraintes pour les entreprises », note la spécialiste. Comment libérer les employés dans des moments où ils sont disposés à apprendre la langue s’il y a peu d’incitatifs ?
« Ce qui joue pour la majorité des temporaires, c’est la disponibilité du temps », remarque également Mme Arsenault.
Leur permis les oblige à se consacrer à temps plein soit aux études soit au travail. « Il n’est pas permis de réduire les heures pour se consacrer à l’apprentissage », rappelle Mme Arsenault, qui y voit l’obstacle principal, même pour les étudiants étrangers.
Durant ses recherches, plusieurs immigrants temporaires ont cependant mentionné qu’ils aimeraient avoir la possibilité de réduire leurs heures de travail, par exemple, durant quelques semaines ou mois pour se consacrer davantage à la francisation. D’autres affirment au contraire que leur paie ne leur suffirait pas s’ils devaient réduire leurs heures.