Un avenir incertain pour des formations professionnelles en construction

Aux quatre coins du Québec, des centres de formation professionnelle (CFP) cessent d’enseigner des métiers spécialisés essentiels dans le milieu de la construction, les chantiers accueillant de nombreux employés sans diplôme dans le contexte de la pénurie, a constaté Le Devoir. « Une tempête parfaite » à laquelle Québec promet de s’attaquer.

Le CFP Paul-Rousseau, à Drummondville, craint notamment de devoir cesser d’offrir sa formation en ferblanterie, déjà proposée dans peu d’établissements au Québec. « On a beaucoup de peine à partir nos groupes, d’une année à l’autre, c’est extrêmement pénible. Et quand on conserve notre groupe d’élèves, on le part de façon très déficitaire. On parle d’une perte de 100 000 dollars pour nous », le nombre d’élèves inscrits n’étant pas suffisant pour couvrir le salaire des enseignants, explique le directeur de l’établissement, Yves Langlois.

Pendant ce temps, la formation en plomberie et en chauffage est « incertaine » pour le mois d’août prochain au CFP Pavillon-de-l’Avenir, à Rivière-du-Loup, en raison d’une « baisse importante des inscriptions », indique la conseillère en communication Stéphanie Gendron. Deux élèves se sont inscrits pour cette formation jusqu’à maintenant, sur un total de vingt places.

L’École des métiers et occupations de l’industrie de la construction, basée à Québec, a pour sa part cessé d’offrir en août dernier la formation en pose de revêtement souple en raison du manque d’inscriptions à ce programme. L’incertitude règne par ailleurs pour quatre autres formations, incluant celles de briqueteur et de cimentier, pour lesquelles « nous n’avons actuellement pas assez d’élèves inscrits pour confirmer le démarrage des cohortes » à la prochaine rentrée scolaire, confirme une porte-parole, Manon Jomphe.

« Il y a un gros manque de valorisation du DEP » par le gouvernement du Québec, déplore Éric Girard, qui enseigne la plomberie et le chauffage à l’École des métiers de la construction de Montréal. Par courriel, l’établissement indique avoir noté une baisse d’achalandage dans huit de ses programmes. Ainsi, plusieurs enseignants ont été « mis en disponibilité » en prévision de l’automne prochain, en raison du manque d’inscriptions à plusieurs programmes, confie M. Girard. « Je ne sais pas où on s’en va », lance celui qui craint que cette situation nuise à la « rétention » des enseignants dans cet établissement.

Des employés sans diplôme

Pourtant, le nombre d’employés actifs dans le milieu de la construction au Québec a augmenté de 3,6 % l’an dernier pour atteindre 197 925, selon les plus récentes données de la Commission de la construction du Québec (CCQ).

Or, des 20 378 employés qui ont fait leur entrée dans ce secteur l’an dernier, 76 % ne disposaient pas d’un DEP dans le domaine pour lequel ils ont été embauchés, tandis que 24 % d’entre eux étaient diplômés. Cette situation s’explique notamment par le recours accru, dans les dernières années, aux « bassins », dans le contexte de la pénurie de main-d’oeuvre. Ceux-ci permettent aux employeurs de différentes régions de recruter des travailleurs sans diplôme dans le domaine pour lequel ils sont embauchés, à condition que ceux-ci s’engagent à suivre une formation annuelle de trente heures dans le métier visé, de même qu’un cours en santé et sécurité sur les chantiers de construction.

Des formations professionnelles sur les bancs d’école se retrouvent ainsi menacées par cette porte d’accès rapide aux chantiers de la construction, avec tous les risques que cela soulève, s’inquiètent des associations syndicales.

« Dans un avenir assez rapproché, on va se retrouver avec une industrie de la construction, au Québec, qui va être déficiente en termes de compétences, ça, c’est clair », appréhende lui aussi le directeur général de la FTQ-Construction, Éric Boisjoly. Ce dernier craint d’ailleurs que les employés qui entrent sans diplôme sur les chantiers de construction ne soient pas en mesure d’adopter les bons comportements pour assurer leur sécurité en tout temps. « On a encore un travailleur qui a été blessé grièvement la semaine dernière, écrasé par une pelle mécanique », lâche-t-il.

Des employés entrés par « bassins » dans l’industrie ont d’ailleurs omis dans les dernières années de compléter leur formation annuelle de 30 heures, sans subir de conséquences de la part de la CCQ, a appris Le Devoir. « Ça peut arriver. Mais bon, c’est la vie », lance en entrevue la présidente-directrice générale de la CCQ, Diane Lemieux. Elle assure cependant que l’organisation a révisé ses « systèmes informatiques » désuets pour s’attaquer à cette problématique. « On est beaucoup plus rigoureux sur le respect de l’obligation de formation, ça, c’est clair. »

Dans un avenir assez rapproché, on va se retrouver avec une industrie de la construction, au Québec, qui va être déficiente en termes de compétences, ça, c’est clair.

Des données de la CCQ montrent d’ailleurs que le taux d’abandon des employés de la construction atteint 40 % après cinq ans pour les employés non diplômés, contre 24 % pour les employés ayant un DEP en poche. Ainsi, en misant sur des employés sans diplôme pour contrer la pénurie de main-d’oeuvre, « on patche un bobo à court terme, mais qui va être beaucoup plus gros à long terme », illustre le président du Conseil provincial du Québec des métiers de la construction, Michel Trépanier.

« C’est un fait, les gens qui rentrent par bassin, donc sans diplôme, leur rétention est moins bonne. On en échappe davantage. Mais là, on est pris dans un dilemme, parce que si on n’ouvre plus de bassins, on va manquer de main-d’oeuvre. Donc on est vraiment dans une tempête parfaite », relève Diane Lemieux.

Dans ce contexte, des initiatives émergent pour faciliter la conciliation études-travail pour des élèves en voie d’obtenir un DEP, afin d’avoir à terme des employés mieux formés sur les chantiers, sans exacerber entre-temps la pénurie de main-d’oeuvre. « Des formations adaptées ont été mises sur pied, dans lesquelles les élèves ont l’occasion de travailler en chantier, dans une alternance études-travail au cours de leur formation », indique par écrit le ministre du Travail, Jean Boulet, qui travaille ces jours-ci sur une réforme du code qui régit le travail dans l’industrie au Québec. « D’autres vont suivre prochainement », ajoute-t-il.

« La deuxième mesure vise à favoriser les diplômés en leur permettant d’accéder à l’examen de qualification pour accéder au statut de compagnon plus rapidement que les non-diplômés », ajoute le ministre. Ce dernier ne compte toutefois pas revoir les conditions d’ouverture de bassins, ces portes d’entrée à des employés sans diplôme sur les chantiers. Celles-ci, fait-il valoir, « s’adaptent aux besoins du marché ».

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