Soigner les hommes violents?

Québec ne détient aucune donnée permettant d’évaluer l’efficacité des programmes d’aide pour conjoints violents, vers lesquels le système de justice dirige de nombreux prévenus. Contrairement à d’autres, comme l’Ontario, aucune norme gouvernementale ne régit non plus ces programmes. Mais le ministère de la Santé et des Services sociaux dit travailler à l’élaboration d’un « cadre de référence » visant à encadrer les pratiques d’intervention auprès des auteurs de violence conjugale.
Il est actuellement impossible de connaître le taux de récidive des auteurs de violence conjugale qui ont suivi un programme d’aide, communément appelé thérapie pour conjoints violents — même si celles-ci sont en grande partie financées par le gouvernement.
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Des données qui seraient certainement utiles pour bien « diriger nos efforts » et savoir « ce qui marche bien et pas bien », mentionne l’ex-juge en chef de la Cour du Québec Elizabeth Corte, qui a coprésidé le Comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale ayant produit en 2021 le rapport Rebâtir la confiance.
Mais des données qui, à elles seules, n’offriraient pas un portrait juste de la situation, nuance l’ex-magistrate. « Ce n’est pas parce qu’il y a une récidive que le programme n’a pas eu un effet positif sur l’individu et pour la victime », affirme-t-elle.
En violence conjugale comme dans tout autre domaine touchant à la justice thérapeutique, la réduction des méfaits doit aussi être prise en compte, estime Elizabeth Corte. « Est-ce qu’on réussit juste quand la personne ne récidive pas du tout, ou est-ce qu’on réussit si la personne a amélioré sa qualité de vie, se trouve un emploi, distancie les récidives ou si sa récidive est de moindre gravité ? » lance-t-elle à titre de réflexion.
Une vision qu’épouse également Normand Brodeur, professeur à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval et chercheur au centre de recherche RAIV (Recherches appliquées et interdisciplinaires sur les violences intimes, familiales et structurelles). « En violence conjugale, il n’y a pas de solution miracle. Les programmes ne sont pas efficaces avec tout le monde et ne fonctionnent pas de façon magique, analyse-t-il. C’est une combinaison de mesures qui vont faire en sorte qu’on peut espérer avoir un impact, avec une contribution des mesures judiciaires et des programmes d’aide. »
Est-ce qu’on réussit juste quand la personne ne récidive pas du tout, ou est-ce qu’on réussit si la personne a amélioré sa qualité de vie, se trouve un emploi, distancie les récidives ou si sa récidive est de moindre gravité ?
Récidives élevées
Des données obtenues par Le Devoir auprès du ministère de la Justice à la suite d’une demande d’accès à l’information démontrent néanmoins que les récidives sont courantes en matière de violence conjugale.
En 2022 au Québec, 45 % des hommes reconnus coupables d’une infraction en violence conjugale avaient déjà été accusés par la Couronne en la matière, et 35 % avaient aussi déjà été déclarés coupables. Des proportions qui sont en augmentation puisqu’en 2013, 38 % des hommes reconnus coupables d’une infraction en violence conjugale avaient déjà été accusés en la matière et 29 % avaient déjà été jugés coupables.
Un taux de récidive élevé qui ne surprend pas l’ex-juge Elizabeth Corte. « C’est une thématique [la violence conjugale] et tant qu’elle n’est pas réglée, il va y avoir des cycles de violence : il y a un agissement, un regret, des excuses, une accalmie et ça recommence. »
Les données du ministère de la Justice démontrent que les auteurs de violence conjugale traînent aussi souvent un passé judiciaire lié à d’autres types d’infraction. En 2022, 67 % des hommes ayant été reconnus coupables d’une infraction en matière de violence conjugale au Québec avaient déjà été jugés coupables d’une autre infraction. En 2013, cette proportion était de 65 %.
« Souvent, on va avoir l’impression que la violence n’est que dans le couple […], analyse Normand Brodeur. Mais ce que ces statistiques démontrent, c’est que c’est plus complexe que ça : ce sont des hommes qui ont un ensemble de difficultés sur le plan de l’intégration sociale. »
Cadre de référence
Au Québec, les programmes d’aide pour les auteurs de violence conjugale sont principalement financés par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). En 2022-2023, 36 organismes communautaires intervenant auprès des auteurs de violence conjugale ont obtenu un financement total de 23 millions du MSSS. Une enveloppe qui a bondi de 88 % depuis 2019-2020.
En 2021, le rapport Rebâtir la confiance recommandait un meilleur encadrement des programmes pour ces personnes et la mise en place d’une accréditation visant à garantir la qualité et l’uniformité du soutien offert.
Interrogé sur la question, le MSSS dit plutôt plancher à l’élaboration d’un « cadre de référence » pour cerner les pratiques d’intervention auprès des auteurs de violence conjugale. Ce guide inclura un mécanisme d’évaluation de la conformité des programmes aux normes établies. Aucun échéancier n’a toutefois été établi pour le dépôt de ces balises.
Parallèlement, l’association À coeur d’homme — qui regroupe 31 organismes venant en aide aux hommes ayant des comportements violents — a mandaté les chercheurs de l’Université Laval Normand Brodeur, Valérie Roy et Rebecca Angele pour développer un guide de bonnes pratiques axé sur la responsabilisation des hommes, auteurs de violence conjugale.
Les programmes seront donc mieux encadrés, mais n’offriront toujours pas de solution miracle. « On ne peut pas remettre toute la responsabilité de régler ces problèmes-là à un seul programme d’aide », résume Normand Brodeur.
Besoin d’aide ?
Contactez À coeur d’homme (par téléphone : 418 660-7799, sans frais 1 877 660-7799), ou rendez-vous à quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes pour contacter des organismes venant en aide aux hommes en difficulté.