La multiplication des vices de construction, signe du manque d’encadrement de l’industrie

Les vices de construction constatés dans plusieurs bâtiments neufs soulèvent des inquiétudes dans le milieu.
Photo: Dave Bolton Getty Images Les vices de construction constatés dans plusieurs bâtiments neufs soulèvent des inquiétudes dans le milieu.

Il est souvent trop facile de devenir entrepreneur général en construction au Québec, déplorent plusieurs acteurs du milieu consultés par Le Devoir. Ceux-ci estiment également que la surveillance des chantiers et les garanties offertes aux acheteurs qui se retrouvent dans des bâtiments mal construits sont insuffisantes. État des lieux.

De Boisbriand en passant par Saint-Jérôme et Longueuil, plusieurs histoires de bâtiments résidentiels ayant d’importants vices de construction ont fait les manchettes dans les dernières semaines. Il s’agit dans certains cas de dommages constatés à la structure d’édifices, ou encore d’infiltrations d’eau associées à des vices de construction. Des bâtiments deviennent parfois inhabitables ou du moins difficiles à assurer, créant un cauchemar pour de nombreux propriétaires qui voient leur logement construit dans les dernières années se transformer en une boîte de Pandore.

« Je voudrais que quelque chose se passe au Québec pour qu’on ne se retrouve plus dans des situations comme ça. C’est abusif », lance une copropriétaire. Cette dernière demeure dans un bâtiment de Longueuil où un inspecteur a noté des dizaines de « déficiences » en 2017. L’immeuble, construit moins de deux ans plus tôt, est notamment aux prises avec des problèmes de moisissures dans son garage intérieur en raison d’une dalle de béton mal isolée, indique la résidente, qui n’a pas voulu dévoiler son identité parce que ce dossier est judiciarisé. Entre-temps, les copropriétaires ont vu leurs primes d’assurance monter en flèche en raison des vices de construction constatés dans le bâtiment.

D’ailleurs, dans un rapport publié en décembre dernier, l’Autorité des marchés financiers s’inquiétait de voir que des assureurs « ont resserré leurs normes de souscription relativement aux immeubles récents, allant même jusqu’à refuser ce type de risque en raison de la présence de nombreux sinistres dont les causes seraient, selon les assureurs, directement liées à la présence de vices de construction ». Une situation qui cause bien des maux de tête aux syndicats de copropriétés.

Mieux former les entrepreneurs

 

Mais qu’est-ce qui explique que des vices de construction continuent de survenir, en 2023 ? Joints par Le Devoir, deux entrepreneurs dans ce milieu montrent du doigt la facilité avec laquelle il est possible d’obtenir une licence de la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) pour ce type de profession.

« N’importe qui peut aller chercher sa licence » en allant passer son examen à la RBQ, lance l’entrepreneur québécois Jasmin Breton-Vincent. En effet, même si de nombreuses formations existent pour apprendre ce métier, celles-ci ne sont pas obligatoires. « C’est un peu le far west dans les licences pour les entrepreneurs généraux. »

« Tu n’as pas besoin d’expérience pour être un entrepreneur général, tu n’as pas besoin de formation, tu n’as besoin de rien », déplore également l’entrepreneur Karl Therriault, qui travaille dans la région de Portneuf. À ce sujet, la RBQ réplique que le taux d’échec à l’examen pour obtenir ce type de licence est de 40 %. « Donc, ça ne doit pas être si simple que ça de réaliser les examens à la RBQ », lance son porte-parole, Sylvain Lamothe.

Surveillance des chantiers

 

Le président du Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec, Yves Joli-Coeur, presse pour sa part depuis des années le gouvernement du Québec de mettre en place une surveillance obligatoire des chantiers de construction menée par l’État pendant les différentes étapes des travaux.

« On n’est pas, comme société québécoise, un endroit où on a voulu avoir un contrôle de qualité indépendant de celui fait par le promoteur. On n’a pas voulu », déplore M. Joli-Coeur. La province se retrouve ainsi avec des bâtiments « mal construits, mal surveillés, sans mesure de contrôle », au grand désarroi de nombreux propriétaires. « J’ai des petits-enfants. Je ne sais pas ce qu’on va leur léguer comme capital bâti au Québec. »

« Ça prendrait des inspections à plusieurs étapes pendant les travaux pour s’assurer de voir la structure, de vérifier que l’assemblage a été bien fait, de voir l’étanchéité des bâtiments de l’extérieur », estime également Karl Therriault. Actuellement, « les inspections se font de façon visuelle, quand tout est fini. Mais tu ne peux pas voir au travers des murs », lâche-t-il.

Une garantie à bonifier

Afin de protéger les propriétaires aux prises avec des vices de construction, un règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs existe à l’échelle provinciale. Depuis 2015, celui-ci est géré par un organisme à but non lucratif nommé Garantie de construction résidentielle (GCR). Ce règlement ne concerne cependant que les bâtiments de quatre logements et moins, l’application d’une garantie étant donc facultative pour les immeubles neufs de plus grande taille.

GCR, dans son champ d’action limité, a pourtant eu des impacts concrets. Depuis quelques années, le nombre d’inspections réalisées par l’organisme est en augmentation. En parallèle, le nombre de non-conformités constatées sur les chantiers par l’organisme a diminué de 54 % depuis 2017.

« Il y a une bonne amélioration en ce sens-là », relève ainsi le vice-président aux communications de GCR, François-William Simard. Cela dit, « est-ce qu’on peut aller plus loin ? C’est clair », convient-il. « Il faut poursuivre avec l’approche préventive qu’on a mise en place, avec de plus en plus d’inspections. »

Jointe par Le Devoir, la RBQ confirme qu’une réflexion est en cours pour revoir le règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, notamment pour appliquer celui-ci à des bâtiments de plus grande taille. La RBQ envisage par ailleurs d’obliger les entrepreneurs en construction de suivre une formation initiale avant de passer leur examen pour obtenir une licence, en plus de formations continues obligatoires mises en place l’an dernier. « C’est notre volonté », confirme le porte-parole Sylvain Lamothe, qui précise que la surveillance obligatoire des chantiers est également étudiée.

Ainsi, la RBQ vise à répondre à un rapport de la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, publié en 2021, qui soulevait plusieurs lacunes dans les vérifications faites des compétences des entrepreneurs et dans la capacité de l’organisation à inspecter suffisamment les chantiers de construction.

« On travaille chaque jour à moderniser l’industrie. On ne veut plus que les consommateurs soient pris dans le futur avec ce genre de problèmes là », assure ainsi M. Lamothe, en référence aux vices de construction auxquels sont parfois aux prises des acheteurs de propriétés neuves. Les changements à venir prendront toutefois du temps, prévient-il. « Comme le dit l’adage, manger un éléphant, ça se fait une bouchée à la fois. »

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