Traverser la panne du verglas avec une maison chauffée au soleil
L’incessant bourdonnement des génératrices résonnait dans le quartier d’Artur Pawlak, au début du mois d’avril. Le sud du Québec venait d’être arrosé d’un abondant verglas qui coupa le courant à plus d’un million de foyers. Mais chez cet ingénieur logiciel de Saint-Lazare, la panne d’électricité ne posait pas le moindre problème : sa maison demeurait chaude et fonctionnelle grâce à la lumière du soleil.
M. Pawlak et sa famille ont emménagé en février dans leur toute nouvelle « maison passive ». Ce type de maison originaire de l’Allemagne, encore très rare au Québec, est doté d’une isolation exceptionnellement performante. Les fenêtres, orientées plein sud, permettent aux rayons de l’astre du jour de chauffer la maison. Au surplus, les nouveaux propriétaires ont coiffé leur maison passive de panneaux photovoltaïques.
« Notre maison n’a pas besoin de grand-chose pour rester au chaud » en hiver, explique M. Pawlak, qui accueille Le Devoir dans sa demeure. La récente tempête de verglas est un excellent exemple de la « tranquillité d’esprit » que les maisons passives procurent à leurs occupants, souligne-t-il. Même en plein hiver, ce domicile de 2000 pieds carrés peut rester chaud simplement grâce au chauffage solaire « passif » qui entre par les fenêtres.
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Balado | Traverser les pannes avec une maison chauffée au soleil« On a emménagé ici une semaine avant qu’il fasse -30 °C, raconte-t-il. On avait juste une petite chaufferette branchée dans une prise, et c’était assez pour garder toute la maison au chaud. Même sans cette chaufferette-là, la température ne serait pas descendue en bas de 18 °C ou 19 °C. »
Vue de l’extérieur, la maison n’a rien de très frappant. De grandes fenêtres font face au midi. L’énergie radiative pénètre dans la maison, y est emprisonnée, et chauffe une dalle de béton au plancher. Celle-ci repose sur des panneaux de styromousse : les échanges thermiques avec le sol sont négligeables. Durant la nuit, la dalle de béton relâche l’énergie emmagasinée pendant le jour.
Les murs, épais d’environ 45 centimètres, sont faits de deux couches isolantes indépendantes à base de cellulose. Les fenêtres, au vitrage triple, offrent aussi une excellente isolation. Lors de la conception, on cherche à minimiser le nombre de « ponts thermiques », c’est-à-dire d’éléments transversaux qui conduisent facilement la chaleur à travers l’enveloppe du bâtiment.
Évidemment, la maison est aussi extrêmement étanche. Quand M. Pawlak ouvre une porte, un bruit de succion semblable à celui d’un réfrigérateur se fait entendre. Pour se qualifier comme maison passive, un bâtiment doit subir moins de 0,6 changement d’air à l’heure (CAH) lors d’un test d’infiltrométrie à 50 pascals. Celle de ce résident de Saint-Lazare revendique une étanchéité de seulement 0,245 CAH : des dizaines de fois moins qu’une vieille maison peu performante…
L’isolation et l’étanchéité de la maison réduisent de beaucoup les besoins de chauffage, mais aussi de climatisation. Une thermopompe air-air efficace jusqu’à -30 °C (qui n’était pas encore installée en février) régule la température, été comme hiver. En outre, le système de ventilation mécanique est couplé à un échangeur d’énergie qui permute la chaleur entre l’air entrant et l’air sortant.
Un « refuge climatique »
Sur le flanc de la maison, un garage abrite vélos et planches à roulettes, mais aussi une petite salle de machines. Un compteur numérique indique la puissance actuellement fournie par les panneaux photovoltaïques sur le toit : 6 kilowatts (kW). Le soleil brille bellement, mais, en cette fin d’après-midi, il s’abaisse déjà dans le ciel. Les panneaux peuvent générer 14 kW dans les meilleures conditions, en été — assez pour faire fonctionner tous les appareils de la maison, qui est néanmoins connectée au réseau d’Hydro-Québec.
Pour pousser l’autonomie énergétique encore plus loin, M. Pawlak a fait installer trois batteries électriques totalisant 15 kilowattheures (kWh) de stockage. Elles permettent de répondre aux besoins de la maisonnée en soirée, quand le soleil est couché. Lors de la panne du verglas, ces batteries ont offert un peu plus de latitude aux occupants. Ils ont seulement dû débrancher le chauffe-eau et la cuisinière.
Notre maison n'a pas besoin de grand-chose pour rester au chaud
Et le prix de la maison ? Au début du projet, les nouveaux propriétaires s’attendaient à payer 30 % plus cher qu’une maison conventionnelle équivalente. En fin de compte, le surcoût s’est plutôt élevé à 60 %. Ils savent que, compte tenu des tarifs d’électricité très abordables du Québec, il sera très difficile de rentabiliser un tel investissement, mais ils ne le regrettent pas.
Ils croient que leur nouvelle maison représente une manière « d’agir » pour lutter contre les changements climatiques. D’abord, l’électricité qu’ils ne consomment pas pourra répondre à d’autres besoins. Ensuite, ils estiment que cette maison — qu’ils veulent habiter jusqu’à leurs vieux jours, avant de la laisser à leurs enfants — pourrait devenir une sorte de « refuge climatique » qui les protégera des vagues de chaleur et des événements météorologiques extrêmes.
« Si on se projette dans l’avenir, c’est une police d’assurance d’avoir une maison qui gère le climat un peu mieux, une maison qui est plus autosuffisante », dit M. Pawlak. Par ailleurs, « ça n’a pas de sens » de payer pour de l’électricité ou du gaz naturel afin de chauffer sa maison, quand on sait que la majorité de la chaleur file rapidement vers l’extérieur, fait-il valoir.
Les Québécois sont de plus en plus nombreux à s’intéresser aux maisons résilientes de nouvelle génération. « On reçoit énormément de demandes, particulièrement depuis la dernière panne », indique Maxime Morency, le vice-président de Québec Solar, l’entreprise qui a accompagné M. Pawlak dans le volet photovoltaïque de son projet. Un petit système hybride (5 kW de puissance, 5 kWh de batterie) coûte environ 30 000 $, indique-t-il.
« Chaque semaine, des personnes intéressées nous contactent pour obtenir des soumissions pour des maisons passives ou à faible consommation d’énergie », dit de son côté Genel Severeyn, le fondateur de Maison Bioclimat, l’entreprise qui a développé le projet résidentiel de M. Pawlak. Les maisons passives du Québec peuvent viser la certification allemande (Passivhaus Institut) ou américaine (Phius). La maison de Saint-Lazare n’est pas certifiée, mais répond à toutes les exigences, assure M. Severeyn.