Les réfugiés du Québec attendent tandis que ceux du reste du Canada sont déjà là

Un an après avoir été choisis par tirage au sort, les dossiers de parrainage de réfugiés attendent toujours sur le bureau du ministère de l’Immigration du Québec. Pendant ce temps, ailleurs au Canada, des familles dont les demandes ont été déposées au même moment commencent déjà à arriver.
« Pourquoi cette différence entre les deux ? C’est un problème, a laissé tomber Norbert Piché, directeur du Service jésuite des réfugiés Canada. Il y a quelque chose qui ne va pas, particulièrement au Québec. Je ne sais pas quoi, mais j’aimerais bien le savoir ! »
Dans la foulée de la prise de Kaboul par les talibans en août 2021, son organisme, qui a plusieurs parrainages à son actif, a décidé de prendre sous son aile six familles afghanes, dont deux se destinent au Québec. Parmi les quatre familles attendues ailleurs au Canada, soit en Ontario et au Manitoba, l’une d’elles est arrivée à Toronto en novembre dernier, après seulement six mois d’attente. Les autres viennent de passer les dernières étapes — examens médicaux et vérifications de sécurité — exigées par le gouvernement fédéral. « Elles devraient arriver cet été », a dit M. Piché.
Et les deux qui veulent s’installer au Québec ? « Rien. On n’a pas de nouvelles », a-t-il déploré. Selon son organisation, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) n’a pas donné de réponse aux demandes de parrainage déposées en 2022. Le MIFI n’a pas été en mesure de confirmer s’il a traité des dossiers, n’ayant pas répondu aux questions du Devoir dans les délais impartis. L’an dernier, le ministère avait toutefois confirmé que 734 dossiers avaient été tirés au sort en avril 2022.
Le Service jésuite des réfugiés n’est pas le seul dans cette situation. Plusieurs autres organismes ont dit n’avoir eu aucune nouvelle de leurs demandes de parrainage depuis l’été 2022. « Je sais que 19 de nos dossiers ont remporté le tirage au sort et qu’on a déposé [en juin 2022] tous les documents demandés pour la deuxième étape de l’engagement. On n’a aucune nouvelle depuis », a affirmé Alessandra Santopadre, responsable des parrainages pour le Diocèse de Montréal.
L’attente au niveau du gouvernement du Québec est si longue qu’une des familles qu’elle parrainait a annulé son engagement avec le Diocèse de Montréal pour tenter sa chance avec un organisme en Saskatchewan. « Et elle est déjà arrivée ! » Son organisme est au Québec et doit se plier aux règles d’ici, mais Mme Santopadre n’hésite pas à encourager des familles de réfugiés à faire affaire avec des organismes d’autres provinces. « Quand une famille décide de déposer une demande dans une autre province, je lui dis : “L’important, c’est d’être sauvé, alors allez-y, surtout si ça va plus vite !” »
Plus longs délais qu’avant
Victime de son succès, le programme a vécu de nombreuses réformes au cours des dernières années. Après de longs moratoires pour permettre l’écoulement des dossiers — en 2017, l’inventaire était de 11 000 dossiers de parrainage — et une enquête pour fraude de certains organismes, de nouvelles règles administratives sont venues encadrer le programme, et un système de tirage au sort a été imposé. Alors qu’il n’existait aucune limite, le quota a été fixé à 750 dossiers, un plafond légèrement rehaussé à 825 l’an dernier.
Les organismes et les groupes de particuliers souhaitant parrainer des réfugiés doivent désormais déposer une demande d’engagement à une période déterminée par le ministère. Une fois le tirage au sort effectué parmi les dossiers jugés admissibles, les parrains ont ensuite 60 jours pour déposer de plus amples renseignements, notamment sur leur capacité financière. Ce n’est que lorsqu’ils obtiennent l’approbation du MIFI qu’ils peuvent déposer leurs dossiers au gouvernement fédéral, qui prend une décision finale après les vérifications médicales et de sécurité.
Selon Mme Santopadre, les délais de traitement au niveau du Québec ont augmenté depuis les multiples réformes du programme. « Avant, il n’y avait pas de tirage au sort et deux étapes pour la demande d’engagement. On envoyait une seule demande d’engagement, et en quelques mois, on pouvait déjà envoyer nos dossiers au gouvernement fédéral. Maintenant, ça prend un an, un an et demi avant d’avoir [l’approbation] du MIFI pour pouvoir transmettre notre dossier au fédéral. »
La révérende Diane Rollert, de l’Église unitarienne de Montréal, a aussi l’impression que les délais se sont aggravés dans les dernières années. Son Église, qui n’en est pas à sa première expérience de parrainage, avait parrainé en 2016 des familles syriennes, qui étaient arrivées en moins d’un an. Cette fois, elle n’a eu aucune nouvelle de son dossier de parrainage, tiré au sort en avril 2022, qui consiste à faire venir ici trois Afghans. « Ça fait déjà un an. Est-ce que [le MIFI] a regardé le dossier ? Je me pose la question. »
Elle souligne qu’ailleurs au Canada, les délais semblent dérisoires en comparaison avec ceux du Québec. Un Afghan parrainé l’été dernier par une antenne de sa congrégation à Halifax est arrivé en à peine huit mois. « Il est déjà ici depuis la fin mars ! » Avec l’aide d’une paroissienne très impliquée, la révérende Rollert a déjà alerté les députés fédéral et provincial pour faire pression, à tout le moins sur le gouvernement du Québec. « Il dit qu’il est débordé », rapporte-t-elle, en disant trouver la situation très « frustrante ».
Action réfugiés Montréal, un organisme parmi les plus expérimentés, nage aussi en plein mystère. Il attend des nouvelles de 14 dossiers de parrainage. Le directeur, Ian Van Haren, estime qu’en raison du faible nombre d’arrivées pendant la pandémie, il faudrait rehausser les quotas de réfugiés. « Il faut augmenter ce chiffre pour accélérer le processus. Certains disent : pourquoi on accueille de nouvelles demandes [de parrainage] pour 2023 alors qu’on n’a pas traité celles de 2022 ? Moi, je dis qu’il faut augmenter les cibles de réfugiés, comme un rattrapage pour 2021 et 2022. »
L’urgence des Afghans
Le Service jésuite des réfugiés s’inquiète particulièrement pour les familles afghanes qu’il parraine. Car comme elles répondent aux critères des mesures spéciales pour les Afghans mises en place par Ottawa, elles feront l’objet d’un traitement plus rapide une fois que leur dossier sera dans les mains du gouvernement fédéral. Environ 20 000 personnes peuvent être accueillies dans ce programme humanitaire. « Mais plus le temps avance, moins il reste de places dans le programme. C’est premier arrivé, premier servi. Le fédéral ne réservera pas de places pour les Afghans qui viendront au Québec », a expliqué Hugo Ducharme, qui s’occupe du suivi des parrainages pour l’organisation jésuite.
Sans vouloir faire de distinction entre les réfugiés, Norbert Piché croit que la situation des Afghans est particulièrement urgente. « Il y a eu des mesures spéciales pour eux. Ce sont des personnes qui ont dû quitter rapidement leur pays et qu’on fait attendre au Pakistan. […] Et là, on a une étape qui s’ajoute du côté de Québec et qui prend du temps. Il y a quelque chose qui ne va pas. »