L’immigration, entre discours et réalités

Adèle Surprenant
Collaboration spéciale
Nombreuses sont les conséquences de ces différents décalages sur les trajectoires et la réalité matérielle des migrants, mais aussi sur la société d’accueil.
Photo: Getty Images Nombreuses sont les conséquences de ces différents décalages sur les trajectoires et la réalité matérielle des migrants, mais aussi sur la société d’accueil.

Ce texte fait partie du cahier spécial 90e Congrès de l’Acfas

En matière d’immigration, le décalage entre les discours politiques et les réalités de terrain est multiple et multiforme. L’Équipe de recherche sur l’immigration au Québec et ailleurs (ERIQA) et leurs invités auront l’occasion de s’y pencher lors d’une conférence dans le cadre du 90e Congrès de l’Acfas.

« Depuis un certain temps, on assiste, dans tous les pays du monde, à un décalage considérable entre ce que les gouvernements disent qu’ils vont faire et ce qu’ils font », estime Mireille Paquet, professeure au Département de science politique à l’Université de Concordia et membre de l’ERIQA.

Si ce défaut de concordance n’est pas visible uniquement en matière d’immigration, il est devenu « un objet central des études migratoires contemporaines », indique la coresponsable du colloque Immigration au Québec et ailleurs : décalage entre discours politique et réalités de terrain ?

Et pour cause. Au Québec, notamment, on observe « des dynamiques particulières au chapitre de la mise en oeuvre [des lois et des programmes en immigration] », souvent soumis à la discrétion des agents ou d’organismes communautaires, chargés de leur implémentation sur le terrain, explique-t-elle.

Dissonance

« Nous, ce qui nous intéresse, ce n’est pas tant de savoir si les élus tiennent leurs promesses », souligne la professeure Paquet, précisant que la démarche du colloque n’est pas normative, mais vise à « comprendre comment les engagements et les discours peuvent se perdre après, dans la pratique ».

Outre cet écart entre les politiques publiques et leurs applications, le colloque abordera le décalage avec le parcours migratoire, ou encore le discours politique et médiatique.

 

Également coresponsable du colloque et membre de l’ERIQA, la professeure au Département de géographie de l’Université Laval, Adèle Garnier, admet d’entrée de jeu que « ce n’est pas facile pour les médias de parler d’immigration d’une manière qui reflète vraiment bien la réalité, parce que c’est un sujet très complexe ». Certains discours politiques peuvent par exemple être orientés par une volonté de « convaincre des électeurs ».

À cela s’ajoute le fait que les immigrants temporaires n’ont pas le droit de vote et, somme toute, ont assez peu de voix au chapitre dans l’espace public, soutient-elle.

Effet domino

Nombreuses sont les conséquences de ces différents décalages sur les trajectoires et la réalité des migrants, mais aussi sur la société d’accueil.

Cette discordance entre les politiques publiques et leurs applications peut avoir « des effets de mécompréhension ou de frustration » de la part des migrants comme des électeurs, et engendrer une « perte de confiance envers les institutions », craint Adèle Garnier.

Ce décalage, ou plus précisément ces engagements non tenus, a des effets tangibles de précarisation. En plus de plonger de nombreux immigrants dans l’incertitude, l’allongement des délais de traitements réglementaires peut, par exemple, retarder l’obtention d’un permis de travail, et donc les priver de revenus. Cette précarité fait alors pression sur les organismes communautaires, qui réclament par conséquent plus de soutien financier de la part des gouvernements, explique la professeure. Un serpent qui se mord la queue.

Faire le grand écart

Du discours à la pratique, les élus font le grand écart. Alors que le gouvernement de François Legault adopte un discours restrictif sur les seuils d’immigration, il augmente, dans la pratique, les budgets en intégration, les seuils d’immigration temporaire et les droits des immigrants temporaires « comme aucun autre gouvernement ne l’a fait avant lui », note Mireille Paquet.

Ces décalages peuvent, selon elle, être partiellement attribués à la stratégie électoraliste du gouvernement : bien que des promesses soient faites pour convaincre une partie des électeurs qui « vivent une certaine anxiété autour de l’immigration », des actions sont également prises pour répondre aux attentes des acteurs économiques, pour qui l’immigration peut notamment soulager les besoins en main-d’oeuvre.

Par ailleurs, la « politisation » et la « polarisation » autour des préoccupations migratoires contribuent, cela dit, à les rendre visibles. « Le fait qu’il y ait de plus en plus de migrants dans l’espace public, ça peut aussi avoir un effet de mobilisation au sein de la société d’accueil », analyse Adèle Garnier. « Ça peut sensibiliser plus de gens à l’immigration. C’est une bonne chose », se réjouit-elle.

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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