Au Québec, les deux solitudes traversent les générations

Les Québécois francophones et anglophones peinent encore à se réconcilier après des années d’accalmie dans les débats constitutionnels. Leur loyauté diverge encore entre le Québec et le Canada, selon une récente étude de l’Association d’études canadiennes (AEC). Un point de ralliement émerge : le système de santé universel.
Environ 62 % des anglophones se disent « très attachés » au Canada, contre seulement 29,5 % de leurs concitoyens de langue française. Inversement, 24 % des Québécois de langue anglaise se disent « très attachés » au Québec, comparativement à 54 % de leurs pendants francophones.
« L’attachement des anglophones envers le Canada est similaire à celui des francophones envers le Québec », observe pour Le Devoir l’auteur principal de l’étude, Jack Jedwab.
Cette loyauté dichotomique se maintient à travers les générations, même chez les plus jeunes, qui n’ont pas vécu les turbulences référendaires. La proportion de Québécois qui témoigne de l’attachement envers le Canada oscille entre 70 % et 76 % à travers les différentes tranches d’âge. L’affection du Québec se maintient entre 72 % et 89 % de la population de toutes les générations.
Les plus jeunes demeurent tout de même plus éloignés de ces questions d’identité nationale. Les 18-24 ans témoignent moins d’intérêt que leurs aînés envers le Canada autant que le Québec. « Généralement parlant, les jeunes sont moins attachés à différents marqueurs sociaux », fait remarquer M. Jedwab. « […] Tant qu’on ne paie pas de taxe, on n’est pas attaché. »
La laïcité en progression chez les anglophones
La laïcité, longtemps considérée comme un point de discorde, rallie de plus en plus de Québécois. L’appui s’élève à 60 % chez les francophones et à 33,3 % des anglophones, des chiffres en progression.
Pour la première fois depuis que l’AEC suit ces tendances, les anglophones perçoivent le hidjab plus négativement (41 %) que positivement (37 %). « J’ai vérifié ça 4 ou 5 fois. Ce genre de préjugé envers les hidjabs n’est plus limité aux francophones », confirme Jack Jedwab.
Les Québécois francophones honnissent davantage ce symbole religieux que leurs confrères. Ils sont 61 % à percevoir le voile négativement, contre 16 % positivement.
Autre curiosité : ce rejet des manifestations religieuses s’étend désormais au-delà de l’islam. Le symbole chrétien du crucifix est par exemple perçu plus négativement (44 %) que positivement (28 %) par les Québécois, peu importe leur langue. « La question des croix se rapproche maintenant du hidjab », compare Jack Jedwab.
L’appui au « multiculturalisme » fait encore aujourd’hui partie des points de divergence entre Québécois. Alors qu’ils sont 76 % du côté anglais à appuyer cette idéologie, ils ne sont que 61,3 % du côté français. Les positions paraissent cependant aujourd’hui plus nuancées. « On a tendance à penser que, si on trouve la laïcité correcte, on n’aime pas le multiculturalisme, ou vice versa. Les gens ne voient pas ça de cette manière. On peut considérer à la fois que le multiculturalisme est correct autant que la laïcité », observe le statisticien, analyses à l’appui.
La santé comme point de ralliement
Une question étudiée permet de bâtir un pont entre les deux solitudes. « L’idée d’un système de santé universel » obtient l’appui de la part de 77 % des Québécois, une statistique identique peu importe la langue maternelle des sondés. Seulement 6,3 % des francophones et 5,1 % des anglophones considèrent cette approche comme « très négative ».
C’est, je crois, lié au phénomène post-COVID-19. La santé a gagné du galon.
Même sur la question de « la discrimination nécessitant la plus grande protection », la santé apparaît comme un consensus. Un « handicap mental ou physique » est aux yeux de toutes les provinces le premier facteur de discrimination. « C’est, je crois, lié au phénomène post-COVID-19. La santé a gagné du galon », estime le sondeur.
Au Québec, bien entendu, la langue arrive deuxième. Le reste du Canada partage davantage sa solidarité avec les « minorités visibles ».
Cette étude a été réalisée au cours de février et de mars 2023 grâce à un échantillon non probabiliste de 1843 répondants.