Le recteur de l’UdeM se dit incapable de rembourser les dons chinois

Le recteur de l’Université de Montréal (UdeM), Daniel Jutras, ne s’est pas prononcé sur les moyens qui ont permis à la Fondation Trudeau de rendre les fonds aux donateurs, Zhang Bin et Niu Gensheng, en vertu d’une convention conjointe avec l’UdeM.
 Getty Images Le recteur de l’Université de Montréal (UdeM), Daniel Jutras, ne s’est pas prononcé sur les moyens qui ont permis à la Fondation Trudeau de rendre les fonds aux donateurs, Zhang Bin et Niu Gensheng, en vertu d’une convention conjointe avec l’UdeM.

Contrairement à la Fondation Pierre-Elliott-Trudeau, qui a réussi à se débarrasser d’un don controversé à deux hommes d’affaires chinois, le recteur de l’Université de Montréal (UdeM), Daniel Jutras, se dit incapable de rembourser les 550 000 $ qu’ils ont versés à son institution d’enseignement.

En entrevue au Devoir, M. Jutras a affirmé que les fonds seront réaffectés à d’autres activités même s’il n’a pas réussi à obtenir l’approbation des donateurs, comme le prévoit la convention signée en 2016 pour encadrer leur contribution.

La semaine dernière, après des tentatives infructueuses, la Fondation Trudeau a réussi à rendre aux donateurs une somme de 140 000 $, qui a notamment déclenché des démissions en bloc dans ses rangs en raison d’une controverse qui dure depuis plus de cinq ans.

Jeudi, M. Jutras a affirmé qu’il dispose d’un avis juridique démontrant l’impossibilité de rendre les fonds qu’a reçus son établissement. « Nous, on a un avis juridique qui nous dit que cette mesure-là, de retourner l’argent, est assujettie de l’obtention d’un jugement de la Cour supérieure qui va déclarer le don nul, a-t-il expliqué. Comme on n’a pas la preuve des conditions dans lesquelles ce don pourrait être annulé, ce n’est pas une avenue qui est ouverte. »

M. Jutras ne s’est pas prononcé sur les moyens qui ont permis à la Fondation Trudeau de rendre les fonds aux donateurs, Zhang Bin et Niu Gensheng, en vertu d’une convention conjointe avec l’Université de Montréal.

« Je refuse de répondre à cette question, posez-la à la Fondation, a-t-il dit. Nous, on a un avis juridique dans cette direction, je ne sais pas quel avis juridique ils ont à la Fondation. »

Aigle d’or

Selon le recteur, la restitution du don serait également contraire à la Loi sur l’impôt et le revenu. Il n’a cependant pas précisé sur quels aspects, se bornant à répéter qu’il dispose d’un avis juridique.

En 2016, l’Université de Montréal et la Fondation Pierre-Elliott-Trudeau se sont partagé une somme de 1 million de dollars offerte par les deux hommes d’affaires chinois. Quelques mois plus tard, une première controverse a éclaté quand il est apparu que M. Zhang avait participé à une activité de financement du Parti libéral du Canada en présence du premier ministre Justin Trudeau.

On s'efforce d'éviter d'accepter des dons de personnes qui auraient un parcours susceptible de créer de l'embarras ou qui porterait atteinte à la réputation de l'université

 

En février, le Globe and Mail a attribué au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) des allégations indiquant que le gouvernement de la République populaire de Chine a offert à M. Zhang de lui rembourser son don. Cette proposition s’inscrivait dans le cadre d’une opération visant à influencer M. Trudeau, notamment par l’intermédiaire de la fondation qui porte le nom de son père, l’ex-premier ministre Pierre Elliott Trudeau.

Selon l’Université de Montréal, il est impossible de vérifier ces informations auprès du SCRS.

L’entreprise Aigle d’or du millénaire international, présidé par M. Zhang, a versé les sommes à l’université et à la fondation au nom des donateurs. La totalité du don, soit 800 000 $ pour l’UdeM et 200 000 $ pour la fondation, n’a toutefois pas été transmise.

Convention et vérifications

La convention conclue en 2016 stipule, à l’article 6, que le comité exécutif de l’Université de Montréal peut, « en accord avec les donateurs ou leurs représentants », réaffecter les fonds « advenant des changements ou des développements importants » compromettant les buts visés.

M. Jutras a affirmé jeudi que l’Université de Montréal a tenté en vain de rejoindre les donateurs. « On n’a pas de réponse », a-t-il dit.

Le recteur a affirmé que la convention doit être respectée dans la mesure du possible. « L’incertitude autour de ce don nous justifie d’aller de l’avant dans la réaffectation elle-même, même si la clause de réaffectation, par hypothèse, est difficile à remplir à ce stade-ci », a-t-il soutenu.

En poste depuis 2020, M. Jutras n’a pas pu préciser quelles ont été les vérifications faites pour s’assurer de la conformité du don, formalisé en 2016. La direction des communications a indiqué qu’aucun rapport à ce sujet n’a été retrouvé.

Le recteur a toutefois souligné que les deux mêmes donateurs avaient également offert une contribution de 800 000 $ à l’Université de Toronto. « C’est des donateurs qui étaient connus dans la sphère philanthropique, tout ça était dans le domaine public », a-t-il dit.

La procédure en vigueur actuellement prévoit toujours des vérifications, a indiqué M. Jutras. « Il y a un examen qui est fait de ce qu’on peut trouver dans la sphère publique sur les donateurs. On s’efforce d’éviter d’accepter des dons de personnes qui auraient un parcours susceptible de créer de l’embarras ou qui porterait atteinte à la réputation de l’université. »

Le recteur a affirmé que son université vérifie l’identité de ses donateurs, une procédure qui a ses limites. « Le genre de chose qui est allégué et imputé au SCRS, ça ne sortirait pas dans un exercice de vérification, je ne pense pas qu’on y arriverait », a-t-il dit.

Réaffectation

Les sommes du fonds Bin Zhang-Niu Gensheng visaient à commémorer la reconnaissance de la République populaire de Chine par le Canada en 1970, alors que M. Trudeau était premier ministre. Son solde actuel est de 506 791,89 $, a indiqué l’UdeM. Au total, 40 000 $ en bourses étudiantes avaient été octroyés en 2018.

M. Jutras a affirmé qu’en plus des allégations sur l’origine des fonds, la demande est faible pour aller en Chine, en raison notamment de difficultés dans les déplacements depuis la pandémie. « On a peu d’étudiants qui souhaitent aller étudier en Chine en ce moment, et c’est une des catégories d’étudiants à qui on aurait pu verser des bourses », a-t-il dit.

Les sommes réaffectées seront consacrées à des activités touchant les connaissances sur la démocratie et la mobilité étudiante internationale.

Lundi, Le Devoir avait rapporté les propos de l’ex-vice-recteur Guy Lefebvre, selon qui la Fondation Pierre-Elliott-Trudeau avait elle-même réclamé sa part du don chinois, qu’il avait sollicité pour des bourses étudiantes à l’UdeM. Le dernier versement a été suspendu quand M. Lefebvre a exprimé un malaise quant aux activités politiques de M. Zhang avec les libéraux.

À voir en vidéo