L’asphalte blanc pour lutter contre les îlots de chaleur?

Le Québec a déroulé 325 000 km d’autoroutes, de boulevards, d’avenues et de rues en tout genre sur son territoire, dont le tiers se trouve en milieu urbain. Ces routes noires, l’été, cuisent sous les rayons du soleil, à tel point que leur température atteint régulièrement 70 degrés Celsius. L’asphalte blanc permettrait-il de contrer les îlots de chaleur et de contribuer au refroidissement des villes, où les thermomètres affichent souvent plusieurs degrés de plus qu’à la campagne ?
Une réflexion planétaire a pris naissance autour de cette question. « Les chaussées et les stationnements ont une part de responsabilité importante dans le phénomène d’îlots de chaleur, explique Alan Carter, responsable du laboratoire sur les chaussées et les matériaux bitumineux de l’École de technologie supérieure (ETS). Présentement, peu d’endroits dans le monde peuvent se permettre d’ignorer ce phénomène. »
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Le Qatar, par exemple, où le mercure peut grimper jusqu’à 45 degrés Celsius, a commencé dès 2017 à peindre certaines de ses routes pour contrer l’absorption de la chaleur. Rouge, verte, bleue, mauve : dans ce pays où l’homosexualité demeure illégale et passible de 7 ans d’emprisonnement, les chemins deviennent paradoxalement arc-en-ciel.
La logique à l’origine de la démarche qatarie repose sur la science. Le noir des enrobés bitumineux augmente leur albédo, soit la mesure qui permet de déterminer la capacité de réflexion ou d’absorption d’une surface. Un albédo très bas témoigne d’un matériau qui emmagasine la chaleur. À l’inverse, la neige fraîchement tombée et encore immaculée possède un albédo très élevé, qui fait en sorte que la lumière solaire « rebondit » sur son tapis blanc.
Parce qu’elle augmenterait l’albédo des routes, une chaussée blanche permettrait assurément de réduire la chaleur, indique M. Carter, selon le même principe que celui auquel obéissent les toitures blanches. Ce qui est possible au-dessus de nos têtes ne l’est toutefois pas nécessairement sous nos pneus et nos pieds. L’avènement de l’asphalte blanc n’est donc pas pour demain, pour des raisons d’abord techniques, mais aussi de sécurité.
Des contraintes techniques
Difficile, en effet, de contrebalancer la couleur noire induite par la « colle » qui tient nos routes ensemble. « Une des composantes des enrobés, c’est le bitume, un produit dérivé du pétrole. Même s’il représente seulement 5 % de nos enrobés, il rend ces derniers très noirs, et nous ne pouvons pas y faire grand-chose », précise M. Carter. Faire des enrobés blancs nécessiterait une quantité colossale de colorant, souligne le chercheur, et cela coûterait donc cher.
Il est possible de « teindre » les chaussées en ajoutant des matériaux qui font office de colorants. « Le plus facile, c’est probablement d’ajouter une teinte rouge, indique l’expert de l’ETS. Si on ajoute de l’oxyde de fer — communément appelé rouille —, il est relativement simple de passer du noir au plutôt rougeâtre. »
D’autres matières permettent aux routes d’avoir un albédo plus élevé, notamment celles en béton, qui ont une teinte plus pâle que celui des enrobés traditionnels. Ces routes absorbent moins de chaleur en début de vie. En revanche, ces surfaces se salissent sous le passage des automobiles et passent, en quelques années, du gris au noir.
« Ce qui survient, explique le professeur Carter, c’est que cette chaussée démarre avec un albédo élevé et une couleur plus pâle, mais nous la salissons avec le temps, donc la chaussée en béton devient de plus en plus foncée, et son albédo diminue beaucoup. Personne n’a envie, je pense, d’aller frotter nos enrobés pour les garder pâles. »
Des problèmes de sécurité
Il serait théoriquement possible de peindre la surface de nos chaussées en blanc pour augmenter leur albédo. Cette solution, cependant, n’est pas souhaitable pour plusieurs raisons. D’abord, l’action des chasse-neige risque de faire la vie dure à cette peinture. Ensuite, un enduit blanc rendrait la chaussée aveuglante, puisqu’elle réfléchirait la lumière autant qu’une première bordée de neige. Alan Carter tranche : « Le blanc, nous n’en voulons pas, parce que nous ne serions pas capables de conduire. »
La science ouvre cependant d’autres avenues pour contrer les îlots de chaleur dus à l’asphalte. Le laboratoire dirigé par M. Carter, par exemple, travaille présentement à faire entrer des matériaux recyclés dans la composition des enrobés, comme du verre ou de la brique concassée. Les résultats s’avèrent concluants : ces enrobés sont non seulement plus économiques, mais aussi plus efficaces.
La façon la plus facile d’inverser les îlots de chaleur, c’est de développer la canopée pour faire de l’ombre sur les rues.
« Ça suffit à faire pencher la balance, c’est sans équivoque, affirme le professeur Carter. Nous sommes capables d’aller chercher cinq, six, voire sept degrés facilement, ce qui fait une différence au bout du compte. » Une diminution de la température qui, par exemple, pourrait réduire la création d’ornières, ces sillons creusés par le passage des poids lourds quand la chaussée surchauffée par le soleil d’été devient plus malléable.
Une autre solution existe : les arbres. « La façon la plus facile d’inverser les îlots de chaleur, c’est de développer la canopée pour faire de l’ombre sur les rues, conclut Alan Carter. Si nous plantions de la verdure dans les stationnements, ça réglerait une grande partie du problème. »