Des déplacements illégaux se produisent depuis longtemps à Akwesasne

D’après la police mohawk d’Akwesasne, les personnes retrouvées mortes cherchaient à se rendre aux États-Unis en traversant le Saint-Laurent.
Marie-France Coallier Le Devoir D’après la police mohawk d’Akwesasne, les personnes retrouvées mortes cherchaient à se rendre aux États-Unis en traversant le Saint-Laurent.

La découverte de huit corps dans une zone marécageuse près de l’île Saint-Régis, sur le territoire d’Akwesasne, a mis en lumière un problème de longue date dans la région, soit le déplacement irrégulier de personnes entre les États-Unis et le Canada. Les autorités tentent d’y mettre fin depuis des décennies.

D’après la police mohawk d’Akwesasne, les personnes retrouvées mortes cherchaient à se rendre aux États-Unis en traversant le Saint-Laurent. La cheffe adjointe Lee-Ann O’Brien affirme toutefois que le naufrage ne serait pas lié à la fermeture du chemin Roxham, en Montérégie. Il est impossible depuis le 25 mars de faire une demande d’asile après avoir franchi de manière irrégulière la frontière canado-américaine, comme par le chemin Roxham.

La police locale a récemment constaté une augmentation du nombre de personnes qui traversaient le territoire pour se rendre aux États-Unis. Le 1er mars, un Américain de 45 ans a d’ailleurs été condamné à cinq ans de prison pour avoir tenté de faire entrer illégalement aux États-Unis six personnes d’origine indienne. Le bateau du passeur a coulé en tentant de traverser le fleuve Saint-Laurent et la rivière Saint-Régis.

6,2 millions $
C'est la somme octroyée en 2022, sur cinq ans, par le gouvernement québécois à la police d'Akwesasne.

Mais de telles traversées ont lieu depuis des années. En 1996, le Christian Science Monitor rapportait l’histoire de Safeyban Hashi, un jeune homme d’origine somalienne dont la demande d’asile avait été refusée au Canada qui avait traversé le fleuve Saint-Laurent en bateau, avant de se faire arrêter aux États-Unis. « Les trafiquants vont tout trafiquer pour faire de l’argent : l’alcool, les immigrants illégaux… » avait mentionné à l’époque le chef de police de Saint-Régis, sur le territoire d’Akwesasne.

Territoire complexe

C’est le caractère unique de la réserve d’Akwesasne, qui chevauche trois États — le Québec, l’Ontario et les États-Unis —, qui fait de cette région un endroit propice aux déplacements irréguliers, et dans certains cas au trafic d’êtres humains et de stupéfiants. « Compte tenu de son emplacement et de son accès à l’eau, le territoire mohawk d’Akwesasne a été désigné par les forces de l’ordre comme un point de transit illégal pour de nombreux produits, y compris le tabac de contrebande », indiquait la Sécurité publique dans un rapport publié en 2019.

En raison du réseau d’îles entre les États-Unis et le Canada dans les environs — comme Saint-Régis, où ont été découverts les corps —, des passeurs peuvent se déplacer en bateau d’un pays à l’autre sans nécessairement être détectés. Cela se poursuit même en hiver, expliquait l’Institut Macdonald-Laurier en 2013. « Le fleuve gèle en hiver, créant ainsi plusieurs routes de glace non officielles entre le Canada et les États-Unis. Des voyageurs secrets peuvent se déplacer sans être détectés », lisait-on.

Le service de police mohawk d’Akwesasne travaille depuis longtemps avec la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour tenter de mettre fin au problème. « La route d’Akwesasne est connue des contrebandiers depuis belle lurette. Toutefois, je peux vous assurer que nous travaillons de près avec la police d’Akwesasne, le détachement de la Sûreté du Québec à Salaberry‑de‑Valleyfield et celui de Cornwall et nos partenaires américains », a expliqué Michael Duheme, ancien sous-commissaire de la GRC, en comité parlementaire l’an dernier.

En juin 2022, le gouvernement québécois a octroyé 6,2 millions de dollars sur cinq ans à la police d’Akwesasne pour ce que celle-ci embauche cinq policiers supplémentaires, se procure un nouveau bateau, des véhicules tout-terrain et des motoneiges pour renforcer la lutte contre l’approvisionnement illégal d’armes à feu. Le nombre élevé de gouvernements opérant sur le territoire, y compris les organisations autochtones, « crée une situation de sécurité complexe », résumait le département de la Sécurité intérieure des États-Unis en 2013.

La juridiction est « tellement complexe » à Akwesasne, confirme la sénatrice Bernadette Clément, qui était mairesse de Cornwall de 2018 à 2021. Les services policiers opérant dans la région sont « habitués à cette complexité », dit-elle. « Les gens dans la communauté ont besoin de savoir qu’on a toutes les ressources nécessaires [pour la coordination]. Je ne peux pas dire si c’est le cas, mais les gens ont besoin d’être rassurés », dit-elle.

Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.

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