Un silence lourd pèse sur Akwesasne après la découverte de plusieurs corps

Huit personnes ont été retrouvées mortes vendredi sur le territoire mohawk d’Akwesasne, dont deux bébés, ont confirmé les autorités locales en fin d’après-midi. Elles tentaient de gagner les États-Unis en traversant par un bras du fleuve Saint-Laurent cette région à la géographie compliquée, qui chevauche le Québec, l’Ontario et l’État de New York.
Les six premiers corps ont été trouvés jeudi soir vers 17 h dans une zone marécageuse. Les huit victimes venaient de deux familles différentes, l’une roumaine et l’autre indienne, a indiqué Lee-Ann O’Brien, cheffe adjointe de la police locale, en matinée vendredi.
Les deux enfants en bas âge retrouvés détenaient un passeport canadien. Les circonstances de la mort des huit victimes font l’objet d’une enquête.
Les recherches se sont poursuivies toute la journée vendredi et continueront « aussi longtemps qu’il le faudra », a indiqué le chef de police Shawn Dulude durant une conférence de presse. Le service de police mohawk d’Akwesasne est aidé de la Garde côtière canadienne, de la Gendarmerie royale du Canada et de la Sûreté du Québec, y compris des plongeurs.
Un jeune homme membre de la communauté d’Akwesasne, CaseyOakes, 30 ans, manquait toujours à l’appel en fin de journée. « À ce stade-ci, nous ne pouvons pas confirmer que les deux incidents sont reliés », a déclaré M. Dulude. Il n’a pas pu préciser s’il avait des raisons de croire qu’il était vivant.
Casey Oakes a été aperçu pour la dernière fois le soir du mercredi 29 mars, vers 21 h 30, en train d’embarquer dans une petite embarcation bleue, à l’extrémité est de l’île de Cornwall. Les corps ont été retrouvés à proximité d’un bateau qui lui appartient. Sur la radio locale, les appels à collaborer avec la police pour le localiser se font entendre.
« C’est un événement très traumatisant pour notre communauté, nous sommes en deuil », a quant à lui déclaré le grand chef, Abram Benedict, lors de la même conférence de presse. Du soutien psychologique sera offert tout au long de la fin de semaine, y compris pour les premiers répondants, dont des pompiers volontaires qui sont sur l’eau depuis hier soir, a-t-il expliqué.
M. Benedict et M. Dulude ont tous les deux évoqué dans les mêmes mots « des jeunes vulnérables » de la communauté, qui sont à la recherche « d’argent facile », se font « exploiter » par des réseaux criminels qui les dépassent. « Nous avons une géographie vraiment unique », ce qui amène son lot d’enjeux, a affirmé le grand chef : « Le trafic humain est un problème qui va continuer dans un avenir prévisible. »
Inquiétudes
Sur place, les inquiétudes quant au trafic humain se font entendre discrètement, mais sûrement. Les membres de la communauté ne veulent pas dénoncer publiquement un réseau criminel, dit en s’éloignant un homme en bordure du bâtiment du conseil de bande.
Depuis janvier, la police locale dit avoir intercepté 80 personnes au total, durant 48 événements distincts. Le chef Dulude hésitait toutefois à parler d’une recrudescence vendredi : « C’est monnaie courante ici, il y en a toujours eu […], mais il y a plus d’attention maintenant », observe-t-il en pointant la horde de médias présents. Des ressources supplémentaires ont été octroyées l’an dernier pour patrouiller sur le territoire, dont les eaux. « Nous faisons du mieux que l’on peut avec notre argent et notre équipement », a-t-il affirmé.
Il se refuse également à faire un lien avec les nouvelles restrictions pour les demandeurs d’asile à la frontière terrestre entrées en vigueur la semaine dernière. Les gens « descendent vers le sud » en majorité, soit du Canada vers les États-Unis, a-t-il précisé.
En avril 2022, six ressortissants indiens ont par exemple été secourus d’un bateau sur le point de couler sur la rivière Saint-Régis par la police locale et la patrouille frontalière américaine.
Au dépanneur de Saint-Régis, qui se trouve sur ce territoire autochtone, l’employée se fait bavarde, tout en offrant un café. « Je ne veux pas répéter des rumeurs, mais oui, ça fait plusieurs années qu’on sait que des gens passent. Et c’est de plus en plus fréquent. Mais je veux dire, ce sont des vies humaines », dit-elle en secouant la tête pour désapprouver.
C’est au niveau du chenail, quand le cours d’eau se rétrécit, que le temps peut devenir mauvais, dit-elle, « été comme hiver ». Un vent fort s’est levé dans la nuit de mercredi à jeudi, note-t-elle, évoquant le verglas, à l’instar du chef de police.
Un autre homme s’approche pour acheter à boire : « Les gens sont aussi fâchés parce qu’ils disent qu’il y a eu de la négligence », lâche-t-il. L’embarcation était trop petite pour le nombre de personnes et leurs bagages, et « il y avait des moutons sur les vagues, sur l’eau », continue-t-il avant de refuser de s’identifier.
Dans les airs, un hélicoptère de la Sûreté du Québec survole toujours les îles Jaune et Saint-Régis, à proximité d’où les corps ont été trouvés. Tous les services de police mobilisés demandent à la population de ne pas s’approcher des zones de fouille.
Sur la terre ferme, un feu commémoratif a été allumé à l’extérieur de la salle de loisirs de Snye. Et même si les personnes retrouvées mortes ne faisaient pas partie de la communauté mohawk, l’on souhaite envoyer « toutes les pensées et prières » pour elles, dit une femme autour du feu.
À quelques kilomètres, à partir du quai derrière un commerce, des hommes ont sorti leurs jumelles, pour voir s’ils apercevraient certaines traces du drame. L’un d’eux répète « ce que tout le monde sait », dit-il, comme une évidence : « Le nombre de personnes qui se font attraper aux États-Unis en provenance du Canada a augmenté. »
Ce sont un peu plus de 109 000 personnes qui ont été interceptées en 2022 par les Américains sur toute la frontière commune avec le Canada, un nombre beaucoup plus élevé que dans les années précédentes.