Le nom des immigrants francophones, source d’erreurs bureaucratiques

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada affirme faire de son mieux pour s’assurer de l’exactitude du nom sur les documents qu’elle délivre.
Photo: Olivier Zuida archives Le Devoir Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada affirme faire de son mieux pour s’assurer de l’exactitude du nom sur les documents qu’elle délivre.

Plusieurs immigrants africains rencontrent des problèmes bureaucratiques en arrivant au Canada parce que leur nom est mal inscrit sur leurs cartes officielles par les autorités gouvernementales, déplorent des intervenantes du milieu communautaire. Ces dernières dénoncent l’« inconsidération culturelle » des autorités canadiennes.

Les cartes d’identité canadiennes, comme dans plusieurs autres pays, utilisent le modèle « nom et prénom ». Mais certains États, dont le Djibouti, en Afrique francophone, y font exception. Les Djiboutiens ont trois prénoms sur leur passeport : le premier est le leur, le deuxième est celui de leur père et le troisième appartient à leur grand-père. Lorsque certains obtiennent leur première carte de résidence permanente au Canada, l’espace prénom est manquant ou leur nom est inversé. Ainsi, une femme peut se retrouver avec un nom masculin, par exemple.

L’erreur peut causer plusieurs maux de tête. Si un résident permanent devient citoyen canadien, il devra par exemple changer son nom légal afin d’obtenir un passeport en raison de l’erreur sur la carte. Dans d’autres cas, une erreur est introduite dans le deuxième ou troisième permis de travail obtenu par un demandeur d’asile, disent des intervenantes. Lorsque la personne se présente au comptoir de Service Canada, permis en main, pour renouveler son numéro d’assurance sociale, sa demande est refusée en raison de l’erreur, expliquent des intervenants.

La solution pour les immigrants djiboutiens est souvent de modifier leur nom auprès des instances provinciales, ce qui leur permet, par la suite, de changer leur nom sur leur carte de résidence permanente et d’autres documents officiels. Mais le processus est coûteux : un adulte doit débourser 137 $ pour le faire, tout comme un enfant, à moins que ce dernier le fasse en même temps que son parent. La nouvelle carte de résidence permanente, elle, coûte 50 $.

Le ministère ontarien des Services au public et aux entreprises ne recense que quatre changements de nom officiels faits par des Djiboutiens en 2021 et 2022. Mais Sana Khalil, une agente de la Clinique juridique francophone d’Ottawa, qui vient en aide à des Djiboutiens, estime que les données provinciales « n’ont aucun sens » et que le nombre de changements de nom est plus élevé. L’une de ses collègues à la clinique, dit-elle, a fait « plein de demandes ».

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada affirme faire de son mieux pour s’assurer de l’exactitude du nom sur les documents qu’elle délivre, mais que des erreurs peuvent survenir. L’agence utilise le nom tel qu’il apparaît sur la zone de lecture automatique du passeport — la section au bas de la photo de l’individu — pour créer des documents tels que la carte de résidence permanente. Au Canada, le nom de la famille du citoyen y est inscrit en premier, mais au Djibouti, c’est souvent le premier prénom de la personne qui y figure.

Une seule clinique

La clinique où travaille Sana Khalil, à Ottawa, dit traiter des dizaines de dossiers d’immigrants qui constatent des erreurs dans leurs documents officiels. La Clinique juridique francophone d’Ottawa est la seule de la capitale fédérale à faire des déclarations solennelles, une tâche qu’elle fait gratuitement. La déclaration solennelle est souvent nécessaire lors d’un changement de nom, comme lorsque la personne n’a pas de certificat de naissance.

Les immigrants doivent dépenser beaucoup d’argent et d’efforts « pour rectifier une erreur qu’eux-mêmes n’ont pas faite », affirme Aliciadeea Le Roc, la directrice de la clinique juridique. Elle a de la difficulté à expliquer pourquoi des problèmes surviennent dans la création des cartes d’identité canadiennes. « C’est peut-être un enjeu de communication. C’est peut-être un roulement de personnel. Ce sont les gens responsables de la bureaucratie qui font des erreurs. Peut-être qu’ils sont mal formés. Pour moi, c’est une ignorance culturelle », commente-t-elle en entrevue.

Et les Djiboutiens ne sont pas seuls à rencontrer des problèmes. Certaines Camerounaises voient l’acronyme « EPSE » être inclus dans leurs documents officiels canadiens. Le mot, qui apparaît sur leur passeport de leur pays d’origine, représente pourtant la forme abrégée du terme « épouse ». En mars, la clinique juridique a aussi dû aider une famille de neuf enfants congolais à changer leur nom après que celui-ci fut inversé sur leur carte de résidence permanente. Les parents ont dû payer 137 $ pour chacun d’entre eux.

« On investit beaucoup de temps pour aider les Djiboutiens à sortir d’un trou misérable. Mais imagine la personne qui doit changer le nom pour toute la famille. On peut bien les aider, mais s’ils n’ont pas l’argent pour le faire, on n’a pas les moyens de couvrir ces coûts, soutient Aliciadeea Le Roc. C’est bien beau de dire oui à l’immigration, mais si tu ne t’occupes pas des gens lorsqu’ils sont arrivés, c’est un fardeau sur le système. On est en train d’inviter les gens, mais on les laisse tomber à cause de la bureaucratie. »

Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.

À voir en vidéo