Des permis octroyés à des logements dangereux par la Ville de Montréal
Le Devoir a découvert que des permis de transformation ont été délivrés par la Ville de Montréal à au moins quatre immeubles de l’arrondissement Ville-Marie où plusieurs logements ne répondent pas aux normes de sécurité élémentaires. Le manque d’inspections est montré du doigt par des employés de la Ville et des experts.
Depuis 2019, 5400 permis de transformation ont été accordés à des propriétaires de Ville-Marie, selon les données ouvertes de la Ville consultées par Le Devoir. C’est ce qui s’est passé pour l’immeuble de la place D’Youville dans lequel ont péri sept personnes lors de l’incendie du 16 mars dernier, qui a reçu deux permis de transformation en 2009 et en 2010 pour réaménager l’intérieur d’un appartement situé au troisième étage du bâtiment.
L’immeuble abritait au moins une chambre sans fenêtre, selon un appel au 911 envoyé pendant la tragédie. Or, la Ville a donné au propriétaire du bâtiment, Emile-Haim Benamor, « l’autorisation » d’aménager une chambre sans fenêtre. « Il y a eu un permis d’émis. Ils [la Ville] étaient confortables avec cette conception-là », affirme l’avocat de M. Benamor, Me Alexandre Bergevin.
Un autre immeuble appartenant à M. Benamor sur la rue Notre-Dame a lui aussi obtenu un permis en 2016 pour réaménager un logement au troisième étage. Selon nos informations, un grand loft a ainsi été converti en quatre chambres destinées à la location à court terme, dont trois ne possèdent aucune fenêtre.
Une auberge de jeunesse de la rue Notre-Dame Est, dans le Vieux-Montréal, dotée de deux chambres sans fenêtre, a elle aussi reçu son permis en 2021 pour des travaux intérieurs dans le but d’aménager un hôtel de 20 chambres aux deuxième et troisième étages du bâtiment.
Joint par Le Devoir, l’Ordre des architectes du Québec a indiqué qu’il se penchait sur ce dossier afin de comprendre comment une firme d’architectes a pu approuver ces plans.
« Ça provoque plein de questions, parce qu’il y a un patrimoine bâti important qui ne respecte manifestement pas les nouveaux codes du bâtiment, ça semble évident », relève l’avocat Alexandre Bergevin.
Un hôtel dans un sous-sol
Juste en face de cette auberge de jeunesse se trouve l’hôtel Hygie, que Le Devoir a visité à deux reprises cette semaine.
La plupart des neuf chambres situées au sous-sol du bâtiment ne comportent aucune fenêtre, mais plutôt des vitres difficiles d’accès et qui sont impossibles à ouvrir « en raison des risques d’inondations », selon un employé du bâtiment. Un dortoir de 10 lits ne comprend également aucune fenêtre ni sortie de secours, tandis que ce bâtiment n’est pas muni de gicleurs. Autant de constats qui soulèvent d’importants enjeux en matière de sécurité incendie dans cet hôtel, rempli au maximum de sa capacité lors de notre visite.

Joint par Le Devoir, le propriétaire de l’hôtel, Philippe Fortunato, a assuré que son bâtiment a obtenu toutes les autorisations nécessaires pour fonctionner tel quel. Vérification faite, le propriétaire a effectivement reçu un permis de la Ville en 2019 pour aménager au sous-sol de l’immeuble concerné « un hôtel de sept chambres », puis un autre en 2021 pour aménager une autre chambre et deux « salles de conférence ».
« On s’est assuré que tout était dans les normes. Encore une fois, si on n’était pas dans les normes, on n’aurait pas pu ouvrir », insiste M. Fortunato.
Le propriétaire assure d’ailleurs, documents à l’appui, que des inspections ont été menées par le Service de sécurité incendie de Montréal (SIM) dans ce bâtiment. Cela a notamment été le cas le 2 février 2022. Au terme de cette inspection, le SIM a émis un avis de non-conformité au propriétaire de l’hôtel, en lien notamment avec le manque d’extincteurs dans le bâtiment et d’avertisseurs de fumée dans les chambres. Ces lacunes ont été corrigées depuis, mais le bâtiment a pu continuer à être opérationnel malgré l’absence de fenêtres dans son dortoir et dans ses chambres.
« Vu les faits ici en cause, nous préférons effectuer les vérifications requises afin de voir l’historique des gestes des services concernés avant de commenter plus de l’avant. Chose certaine, la responsabilité relève de l’architecte qui a conçu, signé et scellé les plans », a réagi par écrit la Ville de Montréal.
Un nombre critique d’inspecteurs
Une agente responsable des demandes de permis a confié au Devoir recevoir quotidiennement des plans non conformes au bureau de l’arrondissement de Montréal où elle travaille. Elle a requis la confidentialité puisqu’elle n’a pas le droit de parler aux médias.
« Des chambres sans fenêtre, j’en ai souvent ! Et ce sont des plans d’architecte ! » lance-t-elle. « On nous renvoie ensuite le même plan avec marqué bureau », ajoute-t-elle.
Le président de l’Ordre des architectes, Pierre Corriveau, précise que depuis 2008, la Ville de Montréal ne valide plus la conformité des dessins signés par des architectes.
« En soi, le fait qu’un architecte ait déposé des plans signés, scellés, est une garantie de conformité. Les plans déposés devaient être conformes. Et s’ils ne le sont pas, les architectes sont responsables », admet M. Corriveau.
Le président de l’Ordre des architectes précise tout de même qu’une surveillance des travaux est essentielle afin de garantir la sécurité des citoyens.
« S’il n’y a pas eu de surveillance des travaux et si, dans le processus, l’entrepreneur par méconnaissance ou obligation décide de les changer, il y a un problème. Il y a une très grande ouverture du gouvernement et de la Régie du bâtiment du Québec à ce que la surveillance devienne obligatoire lorsque des plans sont obligatoires », explique M. Corriveau.
L’agente du cadre bâti à qui Le Devoir a parlé souligne que la Ville manque cruellement d’inspecteurs pour répondre aux besoins réels. « Les inspections se font sur demande. Les personnes de la conformité aux plans sont les mêmes qui font les punaises de lit. Ce sont les mêmes inspecteurs que pour la salubrité », indique-t-elle.
« La Ville de Montréal a 120 inspecteurs à l’emploi qui ne suffisent pas à la tâche de vérifier chaque chantier ou chaque demande de permis qui a été faite. Ils vont être sélectifs, choisir des cas plus à problème, y aller de façon aléatoire, mais ce n’est pas continu », explique Denis St-Aubin, président de l’Association des inspecteurs en bâtiments du Québec (AIBQ).
Son confrère Tony Porowski, président de InterNACHI Québec, la seconde association d’inspecteurs du Québec, indique qu’en 2024, « toutes les maisons de plus de 25 ans devront être inspectées au pré-achat. Tout le monde réalise qu’il y a des manques à gagner importants. Surtout avec la tragédie du Vieux-Montréal, ces changements sont inévitables ».