Avec la fermeture du chemin Roxham, des familles coincées aux États-Unis

L’annonce de la fermeture du chemin Roxham a pris plusieurs personnes au dépourvu, dont cette famille de l’Équateur, qui cherchait vendredi une manière de regagner la ville de New York depuis Plattsburgh.
Marie-France Coallier Le Devoir L’annonce de la fermeture du chemin Roxham a pris plusieurs personnes au dépourvu, dont cette famille de l’Équateur, qui cherchait vendredi une manière de regagner la ville de New York depuis Plattsburgh.

« On serait partis avant si on avait eu l’argent pour l’autobus et le taxi. » Mario Lopez est désespéré. Avec son épouse et ses deux filles de 7 et 11 ans, ils avaient planifié traverser samedi le chemin Roxham vers le Canada. L’annonce que la frontière se durcissait les a pris au dépourvu, eux qui sont en route depuis plus d’un mois, à l’instar de centaines d’autres personnes qui voulaient demander l’asile en sol canadien.

Ils avaient déjà commencé à s’inquiéter jeudi, alors que certains détails d’un nouvel accord entre Ottawa et Washington filtraient. Ce n’est que vendredi après-midi, alors qu’il était déjà trop tard, qu’ils ont appris que l’échéance était à minuit dans la nuit qui suivait. À partir de ce moment, le Canada a commencé à refouler les migrants qui tentaient de passer par le chemin Roxham — ou toute autre voie irrégulière — à quelques exceptions près.

Ils se demandent maintenant ce qu’ils doivent faire pour rester en règle, car leur permis de transit américain expire le 18 avril prochain. Les États-Unis délivrent en effet ce type de visa pour une personne qui se destine à un autre pays.

Pas question de retourner en Colombie, « pas après tous les sacrifices que nous avons faits », expose-t-il.

Leur parcours a pris en effet plusieurs détours pénibles, explique le père de famille, qui était enseignant dans son pays d’origine. Ils ont été dévalisés au Mexique, « jusqu’au dernier sou qui nous restait », dit-il. Il est mal à l’aise. Pourquoi hésite-t-il à continuer de raconter son histoire ? « Personne ne veut dire qu’il est misérable économiquement et qu’il a mis sa famille en danger », lâche-t-il.

Après avoir traversé la frontière entre le Mexique et les États-Unis, ils ont été détenus pendant près de deux semaines avec d’autres immigrants, puis ont été transférés dans un refuge à San Antonio, au Texas. C’est là qu’ils ont obtenu un visa de transit.

Ils ont ensuite été envoyés vers la ville de New York par autobus. Sans le sou pour continuer, ils ont décidé de trouver du travail dans le domaine de la construction pour quelques jours afin de payer des billets d’autobus vers Plattsburgh, puis une course en taxi vers le chemin Roxham du côté américain — un parcours souvent emprunté par les demandeurs d’asile. « J’ai reçu ma première paie vendredi. Avec cette paie, nous allions voyager jusqu’à la frontière », raconte M. Lopez.

Une histoire commune

Walington Mosquera Hernandez, lui aussi colombien, attend quant à lui impatiemment des nouvelles de sa fille, qui est passée par Roxham une fois l’échéance tombée.

Dennis Melissa Mosquera Murillo est entrée au Canada samedi après-midi avec son conjoint et leur petite fille de deux ans, alors que le nouveau protocole était déjà entré en vigueur. Ils devraient toutefois pouvoir être accueillis au Canada en vertu des exceptions prévues à l’Entente sur les tiers pays sûrs, car ils ont déjà de la famille au pays. M. Mosquera Hernandez est néanmoins « très inquiet », car il est sans nouvelles depuis dimanche. « On m’a appelé pour me demander d’envoyer une preuve d’identité, puis plus rien depuis. »

« C’est l’incertitude qui pèse le plus », soupire-t-il, se disant solidaire de ses compatriotes.

Il « remercie le ciel » d’être quant à lui arrivé le 24 janvier dernier, après avoir passé huit mois aux États-Unis. Ancien employé d’un port de Buenaventura, il a été menacé et mis sur une liste de protection gouvernementale. « J’ai été sous escorte pendant quatre mois, puis plus rien. J’avais vraiment peur », résume-t-il.

Tout comme Mario Lopez, il dit avoir dû contracter des dettes lors de son parcours migratoire afin de parvenir à sa destination, le Canada. « J’ai travaillé huit mois comme un esclave aux États-Unis avant de pouvoir compléter mon trajet », dit-il au téléphone.

La famille Lopez vient de la région du Caquetá, en Colombie, et les Mosquera, de la région du Cauca. Ce sont deux zones que le gouvernement canadien reconnaît comme dangereuses : elles figurent dans la liste des zones où éviter tout voyage « en raison des risques d’enlèvement et de criminalité violente découlant de la présence de groupes armés illégaux et d’autres organisations criminelles ».

Les demandeurs d’asile colombiens ont été nombreux au cours des dernières années à se faire reconnaître un besoin de protection. Avec 5435 arrivées hors des points d’accès officiels en 2022, en écrasante majorité par le chemin Roxham, ils ont constitué le troisième groupe en importance cette année-là. Leurs dossiers ont également été acceptés à 72 % entre 2017 et 2022, selon les données de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.

« Si on avait pu demander l’asile chez nous, on l’aurait fait. Si on pouvait juste se présenter à la douane, on le ferait. S’il vous plaît, pouvez-vous me dire qu’est-ce qu’on est censés faire maintenant ? » demande M. Lopez.



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