Le CISSS de la Côte-Nord a consulté des courriels d'employés «sans motifs raisonnables»

Une tentative d’identifier les lanceurs d’alerte ayant dénoncé des lacunes dans un centre d’hébergement pour jeunes en difficulté de Baie-Comeau vient d’échouer devant un tribunal d’arbitrage. Un arbitre de griefs a déclaré que les courriels de six employés du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Côte-Nord ont été espionnés par l’employeur « sans motifs raisonnables ».
Ces courriels ont été obtenus de façon illégale et ne sont pas admissibles en preuve, a tranché l’arbitre Jean-Yves Brière dans une décision du 23 mars 2023.
Cette histoire remonte à mars 2021. Une enquête du Devoir a révélé une série de failles dans les services du Pavillon Richelieu de Baie-Comeau, qui hébergeait une quarantaine de jeunes supervisés par la Direction de protection de la jeunesse (DPJ). Le centre manquait de locaux et de personnel. Les enfants et les adolescents étaient perturbés en raison de l’instabilité des horaires. Certains étaient scolarisés à temps partiel.
Le CISSS de la Côte-Nord a pris une série de mesures pour redresser la situation. Il a aussi cherché en parallèle à identifier les employés qui avaient signalé les lacunes à la journaliste Stéphanie Vallet, du Devoir. Ces travailleurs ont commis un « bris de confidentialité », selon l’organisme qui gère le réseau de santé de la Côte-Nord.
Dans une décision de 54 pages, l’arbitre de griefs Jean-Yves Brière donne tort au CISSS. « L’objectif poursuivi par l’employeur est confus. Voulait-il protéger les informations confidentielles ou était-il irrité que certaines conditions de travail soient exposées publiquement ? » écrit-il.
L’arbitre souligne que l’article du Devoir « ne comporte aucune information confidentielle » permettant d’identifier les jeunes.
Il reconnaît qu’un organisme public comme un CISSS « dispose d’un motif rationnel de s’assurer que son personnel ne divulgue aucune information confidentielle concernant les usagers. Cependant, le Tribunal estime que l’employeur n’avait pas de motifs sérieux et raisonnables qui le justifiaient d’avoir accès aux courriels de ces salariés. »
Jean-Yves Brière fait valoir que la tentative de l’employeur d’identifier les lanceurs d’alerte a violé des « droits fondamentaux […] extrêmement importants dans une société libre et démocratique ». Les gestionnaires du CISSS ont notamment choisi de façon « arbitraire » les six employés dont les courriels ont été espionnés. Ils ont aussi surveillé leur navigation sur Internet.
Les employés « étaient en droit de s’attendre » que leurs communications avec leur syndicat « ne soient pas interceptées », précise l’arbitre de griefs.
Débat de fond
Maude Fréchette, représentante syndicale de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), est satisfaite de cette sentence interlocutoire, qui concerne principalement l’absence de justification du CISSS de la Côte-Nord pour consulter les courriels d’employés à leur insu.
Le débat de fond reste à faire entre les griefs de l’employeur et ceux du syndicat. Le CISSS plaide que le syndicat a incité ses membres à recueillir des informations confidentielles portant sur des clients et à les disséminer dans l’espace public. L’APTS affirme que sa démarche visait plutôt à dévoiler des faits d’intérêt public qui touchaient les conditions de travail de ses membres (et qui avaient été discutés à l’interne), sans compromettre la confidentialité des dossiers sous la responsabilité de la DPJ.
Le CISSS de la Côte-Nord maintient-il ses griefs, compte tenu de la décision arbitrale qui vient d’être rendue ? « Nous venons tout juste de prendre connaissance de la décision et celle-ci est actuellement en analyse à l’interne. Dans les circonstances, nous n’avons pas de commentaires à formuler pour le moment », a indiqué Pascal Paradis, adjoint à la p.-d.g. et responsable des relations avec les médias.