Des chambres sans fenêtre approuvées par la Ville

Cette auberge de jeunesse du Vieux-Montréal comprend deux chambres sans fenêtre ni sortie de secours, ce qui contrevient à la réglementation en vigueur.
Jacques Nadeau Le Devoir Cette auberge de jeunesse du Vieux-Montréal comprend deux chambres sans fenêtre ni sortie de secours, ce qui contrevient à la réglementation en vigueur.

La Ville de Montréal a approuvé les plans de transformation d’une auberge de jeunesse du Vieux-Montréal qui comportent des chambres sans fenêtre ni sortie de secours, ce qui contrevient aux normes en vigueur.

Cet établissement appartient d’ailleurs au propriétaire de l’immeuble incendié dans le Vieux-Montréal le 16 mars dernier, qui possède aussi une maison de chambres où sont loués illégalement des logements sur Airbnb, a constaté Le Devoir.

En 2007, l’avocat Emile-Haim Benamor a acquis un bâtiment de trois étages construit en 1923 sur la rue Notre-Dame Est, dans le Vieux-Montréal. L’édifice a depuis été converti en une auberge de jeunesse de 20 chambres réparties sur deux étages qui a obtenu son numéro d’enregistrement de la Corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ).

Le Devoir a loué une chambre sur la plateforme de location à court terme Airbnb afin de pouvoir visiter les lieux et a constaté que deux chambres ne comportaient aucune fenêtre ni sortie de secours. Le bâtiment n’est également muni d’aucun gicleur.

En entrevue, Neir Abissidan, un homme se présentant comme « un des opérateurs » de la bâtisse, confirme s’être soumis avec succès à toutes les démarches administratives nécessaires à l’obtention d’un numéro d’enregistrement à la CITQ qui lui permet d’exploiter les lieux en guise d’hôtel en toute légalité et de louer ses chambres sur les différentes plateformes de location à court terme.

Le gestionnaire a aussi fourni au Devoir les plans du bâtiment, qui confirment la présence de deux chambres sans fenêtre ni sortie de secours. Ceux-ci ont été approuvés par une firme d’architectes, puis par la Ville, qui a délivré un permis de transformation.

« Pour avoir une attestation, il faut envoyer des plans, il faut que les plans soient étampés. On travaille avec l’arrondissement, on travaille avec la CITQ, et on ne fait pas partie du 92 % » de locations illégales sur Airbnb dans la métropole, lance Neir Abissidan, en référence aux données colligées en ce sens par le site d’analyse de données Inside Airbnb.

« Nous, tout ce que vous avez vu a été étampé par la Ville de Montréal », a souligné M. Abissidan en entrevue. Des propos que Le Devoir a été en mesure de confirmer en consultant des documents officiels comportant un numéro de permis octroyé par la Ville.

Selon la réglementation en vigueur, il est pourtant proscrit de construire des chambres sans fenêtre ni sortie de secours, pour des raisons de sécurité, ce que confirme d’ailleurs un des deux architectes qui ont approuvé les plans de ce bâtiment, Isaac Alt, de l’entreprise montréalaise Alt et Agapi architectes.

Photo: Photo fournie On voit, sur ce plan du bâtiment, que la chambre 14 (en haut à droite) ne compte aucune fenêtre ni sortie de secours. Une chambre similaire se trouve sur un autre étage de l’établissement.

« Toutes les pièces utilisées comme chambres à coucher doivent avoir une fenêtre. Donc peut-être que ces pièces étaient utilisées comme espaces de bureau, comme réception ou comme salle de lavage », avance M. Alt, en entrevue au Devoir. « La Ville n’aurait pas approuvé deux chambres à coucher sans fenêtre », ajoute-t-il.

Or, les plans mentionnent bien que les deux pièces sans fenêtre sont des « chambres ».Le Devoir a d’ailleurs consulté des annonces publiées sur Airbnb et sur d’autres sites, comme Booking.com, et a relevé qu’il était possible, dans les derniers jours, de louer une chambre sans fenêtre dans ce bâtiment.

Photo: Booking.com Cette photo extraite d’une annonce publiée sur Booking.com montre qu’il était encore possible récemment de louer une chambre dans l’immeuble appartenant à Emile-Haim Benamor situé sur la rue Notre-Dame.

Plusieurs clients ont d’ailleurs déploré dans les dernières semaines sur la plateforme Booking.com l’absence de fenêtre dans le logement qu’ils ont loué dans ce bâtiment, en plus de faire état d’un chauffage déficient et du manque de personnel présent dans cet établissement commercial.

« La chambre qu’on m’a attribuée n’avait pas de fenêtre donnant sur l’extérieur, ce que je considère comme un danger en cas d’incendie. Il serait impossible d’être secouru de l’extérieur s’il y avait un incendie dans le bâtiment. Les fenêtres donnaient sur un espace commun, ne s’ouvraient pas et il n’y avait aucune intimité », a notamment écrit le 31 décembre dernier sur Booking.com une Canadienne qui a séjourné une nuit dans cette auberge de jeunesse.

Photo: Booking.com L’absence de fenêtre dans une chambre de l’immeuble de la rue Notre-Dame a été dénoncée par cette femme qui a loué le logement l’an dernier.

Sur place, Le Devoir n’a été accueilli par aucun membre du personnel de ce bâtiment, qui ne dispose pas non plus d’une réception. Les clients de l’établissement obtiennent plutôt un code en ligne pour ouvrir l’entrée de la bâtisse. Ils doivent ensuite entrer un autre code pour ouvrir le cadenas se situant à l’entrée de leur chambre afin d’avoir accès à la clé de celle-ci.

Dans ce contexte, le président-directeur général de l’Association hôtelière du Grand Montréal, Jean-Sébastien Boudreault, déplore certaines lacunes dans les exigences imposées par le gouvernement du Québec pour l’obtention d’un numéro d’enregistrement à la CITQ, qui peuvent poser des problèmes de sécurité, selon lui.

« Tout se fait en ligne, effectivement. Est-ce que c’est trop facile ? Je ne sais pas. Tout est une question de validation par la suite », relève pour sa part la directrice générale adjointe des Auberges de jeunesse du St-Laurent, Isabelle Boyer. À sa connaissance, aucune visite sur place n’est effectuée par les inspecteurs de Revenu Québec avant qu’un numéro d’enregistrement à la CITQ ne soit délivré à un établissement.

Joint en soirée vendredi, le directeur de l’arrondissement de Ville-Marie, Marc Labelle, a indiqué que depuis juin 2008, la Ville ne vérifie pas la conformité des plans qui lui sont soumis pour tous les bâtiments. « La Ville applique la vérification sur les plans en rapport au Code du bâtiment pour les immeubles de trois étages et moins et sur les neuf logements et moins », ce qui n’est pas le cas de l’édifice en question.

Dans le cas de cette auberge de jeunesse, c’était donc « la responsabilité » du « professionnel » qui a réalisé les plans de s’assurer que ceux-ci étaient conformes à la réglementation provinciale, a affirmé M. Labelle, qui reconnaît tout de même que des chambres sans fenêtre dans un bâtiment peuvent poser « un enjeu de sécurité ». « Mais la responsabilité, c’est celle du professionnel qui scelle les plans. »

Une maison de chambres sur Airbnb

Le propriétaire du bâtiment patrimonial qui a été la proie des flammes jeudi dernier dans le Vieux-Montréal utilise également une maison de chambres dont il est propriétaire, située rue Viger Est, pour effectuer des locations à court terme, illégales dans ce secteur.

Dans les dernières années, la Ville de Montréal a multiplié ses efforts pour tenter de conserver les maisons de chambres sur son territoire, dont le nombre s’est étiolé au fil des années en raison de la spéculation immobilière. Leur protection est importante pour la municipalité, car les loyers y sont généralement abordables. Des élus municipaux ont d’ailleurs souvent qualifié les maisons de chambres de dernier rempart contre l’itinérance dans la métropole.

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Cette maison de chambres de la rue Viger, qui appartient à Emile-Haim Benamor, est utilisée pour des locations à court terme, pourtant illégales dans ce secteur.

Or, le plombier Dylan James Victoria s’est vu proposer un loyer de 1250 dollars pour un logement de type trois et demie dans ce bâtiment, en 2021. Il l’a quitté après cinq mois en raison de la présence de vermine et de locataires à court terme qui l’empêchaient de dormir.

« En gros, il fait des Airbnb en bas, il n’y avait pas de licence d’hôtellerie, il n’y avait pas de pancarte d’hôtellerie. Et il y avait beaucoup de rats qui rampaient, qui sortaient », raconte M. Victoria. « Dans le fond, je suis parti à cause de ça. Il y avait beaucoup de gens qui partaient, sortaient, il y avait des partys le soir, il y avait beaucoup de locataires qui avaient fait du chialage pour ça », poursuit-il.

Des voisins qui souhaitent garder l’anonymat par peur de représailles ont été en mesure de confirmer au Devoir les allées et venues incessantes de locataires de la plateforme Airbnb, qui sonnent parfois chez eux pour trouver leur chambre. Or, la réglementation de l’arrondissement de Ville-Marie interdit les locations touristiques à court terme dans ce secteur.

« C’est que ça [du Airbnb]. On voit constamment des gens passer avec des valises », précise une personne du voisinage qui a contacté Revenu Québec après avoir pris connaissance de l’incendie cette semaine.

« On a vu ce qu’il faisait dans les journaux, et on trouvait ça vraiment indécent de sa part qu’il dise que ce sont ses locataires qui font du Airbnb illégal », précise l’homme, qui connaît M. Benamor depuis de nombreuses années.

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