Échapper à l’hiver en Floride, mais pas au coût de la vie
Le ciel s’assombrit pour les 250 000 Québécois qui passent l’hiver en Floride. Une « tempête parfaite » fait la vie dure aux snowbirds : avec l’inflation et les changements climatiques, qui provoquent des ouragans d’une ampleur inédite, certains remettent en question leur séjour annuel sous le soleil.
Les affiches « à vendre » et « à louer » se multiplient devant les maisons mobiles et les immeubles de condos sur les deux côtes de la Floride. Plusieurs de ces propriétaires plient bagage à cause d’une série de coups durs. Tout coûte plus cher : l’essence, la nourriture, l’électricité — ce qui fait gonfler la facture de la climatisation. L’inflation s’est élevée à 9,9 % en 2022. Les taux d’intérêt, les taxes foncières et les frais de copropriété augmentent. Des retraités rapportent des hausses importantes du coût de l’assurance maladie pour leur séjour sous le soleil.
Les primes d’assurance habitation ont aussi explosé dans les régions frappées par les ouragans de l’automne dernier. Certaines maisons, désormais considérées comme étant en zone inondable, ne sont plus assurables — ou le sont à des coûts prohibitifs.
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Balado | L’évolution forcée des «snowbirds»« Les assureurs sont devenus très sévères. On comprend qu’ils ne veulent plus assurer nos résidences », dit Denis Roy, qui possède une maison mobile dans la région de Deerfield et Pompano Beach, sur la côte est de la Floride.
Sa prime d’assurance habitation a bondi de 25 % cette année, de 2900 $ à 3600 $. L’année prochaine, son assureur l’a prévenu que ce sera 2000 $ de plus. La facture aura presque doublé en deux ans.
Les sociétés d’assurances considèrent désormais que la maison de Denis Roy est située dans une zone inondable à cause des pluies torrentielles qui viennent avec les ouragans. Le Québécois fait affaire avec Citizen, une société d’État qui assure les résidences dont ne veulent pas les assureurs privés.
Denis Roy ne regrette pas d’avoir investi dans l’immobilier en Floride, il y a quatre ans, malgré la hausse importante de la facture annuelle. « On est chanceux d’être à l’aise financièrement, mais j’ai des amis qui commencent à penser à vendre », dit-il en prenant l’apéro sur sa terrasse au soleil.
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Les snowbirds «ne savent plus où aller»Michael Friz a aussi reçu une facture salée pour assurer son condo dans le secteur de Lighthouse Point, près de Pompano. Sa prime d’assurance habitation vient d’augmenter de 65 %, passant à 1100 $ par année. Cette hausse de 500 $ est due au risque d’inondation, même si son appartement est situé au troisième étage. Les frais de copropriété ont aussi augmenté de 76 $ par mois pour atteindre 452 $, ce qui crée des tensions parmi les propriétaires du complexe immobilier.
« C’est fatigant d’avoir des hausses comme celles-là, mais on va couper ailleurs. On ira moins au restaurant, on va faire des barbecues dans la cour », explique-t-il.
Une destination recherchée
La vie reste bonne sous le soleil du sud des États-Unis, mais il faut avoir de bons moyens financiers pour passer l’hiver en gougounes près de la mer, souligne Denise Dumont, rédactrice en chef et directrice générale du journal Le Soleil de la Floride.
Elle confirme que la hausse du coût de la vie commence à peser lourd sur le moral des snowbirds. « Ça devient trop cher, trop lourd pour certains. Il y en a plusieurs qui préfèrent louer pour quelques mois au lieu de posséder un condo ou une maison de ville », explique cette observatrice attentive de l’univers des Québécois en Floride.
Même le coût du transport des voitures à bord d’un camion — pour les retraités qui ne veulent pas faire deux jours de route entre le Québec et leur nid d’hiver — a doublé au cours des dernières années, pour atteindre jusqu’à 2500 $, selon elle.
La Floride reste une destination prisée par les investisseurs internationaux malgré l’explosion du coût de la vie. Les acheteurs étrangers, dont ceux du Canada, ont acquis 9400 résidences dans le sud de la Floride en 2022, en hausse de 25 % par rapport à l’année précédente, selon la Chambre immobilière de Miami.
Denise Dumont estime que le rythme des ventes a ralenti depuis le début de l’année 2023 en raison de l’inflation et de l’incertitude économique. Les pancartes « à vendre » restent plus longtemps que l’année dernière, explique la journaliste.
Un frein à la mobilité
Au-delà de l’inflation, les coûts d’assurance maladie peuvent décourager les longs séjours des snowbirds. Esther Castiel, une retraitée qui passe ses hivers en Floride depuis une douzaine d’années, a ainsi eu une surprise de taille au début de l’année 2023. Sa facture d’assurance voyage pour un séjour de trois mois est passée de 2500 $ à 4000 $, parce que son mari a subi un pneumothorax en novembre 2022. Ce problème de santé « préexistant » depuis moins de six mois est considéré comme un facteur de risque par les assureurs.
Le couple de retraités a dû magasiner pour dénicher une assurance à 4000 $ pour trois mois. Une des soumissions s’élevait à 9000 $. La pilule est dure à avaler.
« On a acheté un condo à petit prix quand le marché a plongé, il y a 12 ou 13 ans. On a travaillé toute notre vie, on essaie de s’échapper de l’hiver pour quelques mois, mais on ne pourra peut-être plus y aller à cause du coût de l’assurance voyage », explique la retraitée de 71 ans.
Alertée par Esther Castiel, la députée libérale Marwah Rizqy s’insurge contre les prix « exorbitants » de l’assurance voyage pour les personnes ayant un problème de santé. « C’est un frein à la liberté de circulation. Ça devient presque de la discrimination contre les personnes âgées », dit-elle.
Les snowbirds sont souvent des salariés de la classe moyenne qui ont économisé toute leur vie pour se payer un peu de chaleur en hiver, souligne la députée.
Tona Cantu, directeur du développement de la société d’assurances Tugo au Québec, rappelle que les primes d’assurance voyage sont déterminées en fonction du risque. « Si le client a une condition médicale préexistante, le risque augmente », dit-il.
L’âge du client, son état de santé, la durée du séjour à l’étranger et le type de protection offert influencent le coût de l’assurance. « Il faut être attentif à ce qui est couvert, parce qu’une urgence médicale peut facilement coûter entre 200 000 $ et 300 000 $ aux États-Unis », ajoute-t-il.