Des déserts de services nuisent à l’accessibilité des thérapies offertes en violence conjugale

Plusieurs « déserts de services » présents sur le territoire québécois nuisent à l’accessibilité des thérapies offertes aux auteurs de violence conjugale. Des secteurs de Montréal, de la Montérégie et du Nord-du-Québec, entre autres, n’ont aucun organisme sur leur territoire venant en aide aux hommes ayant des comportements violents en contexte conjugal et familial, même si leur population présente des facteurs de risque importants. Une accessibilité qui est également mise à mal en matière linguistique, en raison du faible nombre d’organismes offrant des services en anglais ou dans une autre langue que le français.
Au Québec, une trentaine d’organismes viennent en aide aux hommes ayant des comportements violents en contexte conjugal et familial. « Si je fais un comparatif, il y a une centaine de maisons d’hébergement [pour soutenir les victimes de violence conjugale et familiale]. Les ratios ne sont pas du tout les mêmes », souligne Geneviève Landry, présidente d’À cœur d’homme, l’association qui regroupe la vaste majorité des organismes desservant cette clientèle masculine.
En découle une disparité géographique dans les services offerts, déplore l’intervenante. À titre d’exemple, aucun organisme n’offre de thérapies aux auteurs de violence conjugale dans l’ouest de l’île de Montréal. Idem pour Hochelaga-Maisonneuve, Verdun, LaSalle ou encore pour Montréal-Nord. « Quelqu’un qui habite à Verdun et qui doit aller au Service d’aide aux conjoints (SAC) [dans Ahuntsic], c’est tout un trajet en transport en commun », note Geneviève Landry, qui est également à la tête de l’organisme Entraide pour hommes situé à Longueuil et à Beloeil.
L’intervenante déplore également la présence d’un désert de services à Saint-Jean-sur-Richelieu en Montérégie. S’y trouve une population d’environ 100 000 habitants présentant des facteurs de risque élevés. « Il y a plus de dossiers de probation en violence conjugale et de dossiers liés à la DPJ, et ces hommes-là se retrouvent sans service », se désole-t-elle, en ajoutant que les hommes peuvent suivre des thérapies dans d’autres organismes présents dans la région moyennant un trajet d’autobus ou de voiture pouvant être rébarbatif et coûteux.
Un phénomène similaire s’observe aussi dans le Nord-du-Québec, où la population, présentant là encore d’importants facteurs de risque, n’est pas desservie à la hauteur de ses besoins. « Un homme au Québec n’a pas la même trajectoire de services en fonction d’où il habite », dénonce Geneviève Landry.
Communauté anglophone
Cette disparité dans l’offre de services destinés aux auteurs de violence conjugale et familiale s’observe également en matière linguistique. La clinique de violence conjugale de l’Université McGill est la seule ressource au Québec entièrement destinée à la clientèle anglophone. « On est une très petite clinique fonctionnant avec de très petites ressources », indique Derrolton James, directeur et superviseur clinique de la Domestic Violence Clinic.
Les besoins sont pourtant là. Aujourd’hui, un homme doit patienter environ trois mois sur la liste d’attente de la clinique avant d’intégrer un groupe de thérapie — la méthode jugée la plus efficace pour traiter les auteurs de violence conjugale et familiale. « C’est une question de ressources. On a juste deux groupes et on a un maximum de dix gars par groupe », indique le directeur, en expliquant que cette liste d’attente s’est créée pendant la pandémie et que la clinique, qui offre principalement des services en ligne depuis trois ans, n’a pas réussi à la résorber.
Sur une base annuelle, la clinique privée — à laquelle l’Université McGill fournit des locaux, mais qui fonctionne sans aucune subvention gouvernementale — dessert une soixantaine d’hommes, dont la quasi-totalité est envoyée par le système judiciaire ou par les services de protection de la jeunesse. Ces hommes viennent d’un large territoire, allant de l’ouest de l’île à la Rive-Sud dans la région de Montréal. Et pour plusieurs, l’anglais n’est pas la langue maternelle, ce qui complexifie la relation d’aide.
« On doit être très créatifs dans les activités qu’on fait. On est forcés d’utiliser un langage plus simple, sans qu’il soit infantilisant », explique Derrolton James, qui ajoute que « c’est l’un des plus grands besoins d’offrir des services dans d’autres langues [que le français et l’anglais] ».
Services de prévention
Depuis quelques mois, pour répondre à la demande, l’organisme Option à Montréal a commencé à offrir, en plus de ses services habituels en français, des thérapies individuelles en anglais. « On voyait qu’il y avait des besoins, des gens nous appelaient », mentionne Lucie Saint-Pierre, directrice générale d’Option.
Mais comme ailleurs, les organismes se heurtent à la pénurie de main-d’œuvre et à la difficulté de recruter des intervenants voulant travailler en relation d’aide avec des auteurs de violence conjugale et familiale. L’organisme montréalais Harmonie conjugale (autrefois Pro-Gam) a dû cesser d’offrir des services en anglais et en espagnol il y a quelques années après le départ d’intervenants maîtrisant ces deux langues. « Ça serait formidable qu’on puisse [à nouveau] offrir des services en anglais, en espagnol, et éventuellement dans d’autres langues, comme l’arabe », indique Robert Cazelais, directeur général d’Harmonie conjugale.
Au-delà des thérapies, des services de prévention devraient être offerts dans une panoplie de langues, propose Derrolton James. « L’enjeu avec le service qu’on offre, c’est que c’est un service entièrement réactif, fait-il remarquer. On intervient lorsqu’il y a une sévérité dans la violence qui nécessite l’intervention de la police ou des services de protection de la jeunesse. » Pour s’attaquer plus efficacement au phénomène de violence conjugale et familiale, « il faut être proactif [directement dans les communautés], plutôt que réactif », souligne-t-il.
Besoin d’aide ? Si vous êtes victime de violence conjugale, vous pouvez appeler la ligne d’urgence de SOS violence conjugale au 1 800 363-9010. Pour contacter l’association À cœur d’homme, composez le 1 877 660-7799.