L’ONU et le Mila inquiets des dérapages potentiels d’IA comme ChatGPT

Le chercheur et titulaire d’une chaire en Intelligence artificielle Canada-CIFAR Yoshua Bengio
Mila Le chercheur et titulaire d’une chaire en Intelligence artificielle Canada-CIFAR Yoshua Bengio

Le hasard fait drôlement les choses. L’UNESCO et Mila – Institut québécois d’intelligence artificielle lancent aujourd’hui un livre collectif rédigé par des sommités internationales en intelligence artificielle, et leur ouvrage prend la forme d’un avertissement à tous les gouvernements de la planète  : agissez sans délai, sinon vous serez rapidement dépassés par des intelligences artificielles (IA) comme ChatGPT, un chatbot dont la mise à niveau survenue la semaine dernière inquiète autant qu’elle fait rêver.

Les deux organismes profitent du lancement de l’ouvrage, intitulé Angles morts de l’intelligence artificielle, pour inviter à débattre sur scène le chercheur et titulaire d’une chaire en IA Canada-CIFAR Yoshua Bengio et la chercheuse principale de Microsoft Research Kate Crawford. La question : à quel point est-il urgent pour la société civile internationale de se doter d’outils de gouvernance adaptés à l’IA ? Le débat sera intéressant entre M. Bengio, défenseur reconnu d’une éthique robuste en matière d’innovation, et Mme Crawford, dont l’employeur vient de licencier son comité éthique censé superviser les applications d’IA au sein de ses activités.

« Ça m’inquiète », confie d’entrée de jeu au Devoir Yoshua Bengio. « Ça envoie un mauvais signal. Je ne m’explique pas ce geste-là. »

Microsoft s’empresse d’intégrer des outils d’IA dans ses produits. À la mi-mars, le géant informatique de Redmond a présenté Copilot, une interface similaire à ChatGPT, qui permet d’automatiser la création de documents dans ses logiciels Word, Excel et PowerPoint, à la simple demande de leurs utilisateurs.

Parmi les principaux géants technologiques, Microsoft se présentait jusqu’ici comme un des plus ardents défenseurs d’une innovation responsable de l’IA. Le masque semble être tombé.

« La plupart des grandes entreprises ont fait ces dernières années — en apparence du moins — un virage en faveur de l’éthique et de l’impact social. Une chose que fait notre livre est de remettre en question l’alignement pas toujours juste entre cette apparence et la réalité », résume M. Bengio.

Prendre exemple sur le Canada

 

Les 18 chapitres du livre de Mila et de l’UNESCO, rédigés chacun par des sommités universitaires, économiques et autres, posent autant de questions sur l’impact qu’aura dans les prochaines années le développement de l’intelligence artificielle, et qui demeure difficile à prédire en ce moment. La diversité, la culture, l’éducation, l’économie et la politique y passent.

Nous créons des outils puissants, qui pourraient tomber dans les mains de ceux qui ont les moyens de se les offrir, et qui pourraient les utiliser pour mieux contrôler les populations

 

L’une des craintes exposées consiste à voir l’IA accélérer la concentration des pouvoirs politiques et économiques entre un nombre sans cesse réduit de mains. « Nous créons des outils puissants, qui pourraient tomber dans les mains de ceux qui ont les moyens de se les offrir, et qui pourraient les utiliser pour mieux contrôler les populations », illustre Yoshua Bengio.

D’où l’importance pour les gouvernements d’intervenir, ajoute pour sa part Benjamin Prud’homme, coauteur et coéditeur du livre. Selon lui, le projet de loi fédéral C-27 devrait dicter la voie à d’autres pays. Le Canada fait figure de pionnier en matière d’encadrement de l’intelligence artificielle en particulier et de l’innovation en général avec ce projet de loi, qui énonce de grands principes à respecter par les nouvelles technologies sans imposer de techniques ni de moyens précis à appliquer pour éviter les dérapages.

L’Union européenne a aussi un projet de loi-cadre pour l’IA, mais au rythme où vont les choses, la loi canadienne pourrait entrer en vigueur avant la loi européenne. Une bonne chose, observe Benjamin Prud’homme. « C-27 se concentre sur l’évaluation des risques : plus l’impact d’une nouvelle technologie est grand, plus il y a d’obligations à respecter pour son créateur. Ça laisse de la place à l’innovation tout en imposant des limites. »

L’espoir avec la publication de ce livre est que d’autres pays emboîtent le pas au Canada et à l’Europe. « Il n’est pas suffisant que seuls quelques pays légifèrent. Il n’y a pas lieu de paniquer, mais il est temps de prendre le sujet au sérieux », concluent MM. Bengio et Prud’homme.

À voir en vidéo