Lac-Mégantic et Amqui, villes-soeurs face au drame

En consultant les nombreux messages qui ont envahi sa boîte de réception dans les heures qui ont suivi le drame d’Amqui, la mairesse Sylvie Blanchette s’est arrêtée sur un nom : Colette Roy-Laroche.
Malgré les centaines de kilomètres qui la séparent de la ville du Bas-Saint-Laurent, l’ex-mairesse de Lac-Mégantic, qui était en poste au moment de la catastrophe ferroviaire ayant enlevé la vie à 47 Méganticois en 2013, avait pris le temps de lui écrire quelques mots de soutien après l’attaque au camion-bélier de lundi.
« Elle m’a fait parvenir un très beau message d’encouragement et d’empathie », confie Mme Blanchette en entrevue avec Le Devoir. « Le fait que, moi, elle m’envoie ce message-là, ça m’a fait beaucoup de réconfort. C’était la petite tape dans le dos. »
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Tout près de dix ans séparent les drames d’Amqui et de Lac-Mégantic. Leur nature — délibérée dans un cas, accidentelle dans l’autre — diffère aussi.
Mais les tragédies qui ont frappé en plein coeur ces deux villes d’environ 6000 habitants ont plus en commun qu’on pourrait le croire. Parlez-en à Mélissa Généreux.
Professeure agrégée au Département des sciences de la santé communautaire à l’Université de Sherbrooke, elle occupait il y a dix ans le poste de directrice de santé publique de l’Estrie. C’est cet été-là qu’un train rempli de pétrole brut a déraillé en plein centre-ville de Mégantic, emportant avec lui son lot de vies humaines.
« Peu importe le fait que ça soit intentionnel, que ça soit un accident, on se rend compte que le type d’impact que ça peut avoir sur la communauté [touchée] est similaire », souligne-t-elle.
Une flèche au coeur de tous
Quand elles s’abattent sur une petite ville, les tragédies ont l’effet d’une traînée de poudre dans la population, analyse l’experte en santé publique. « C’est tissé très serré, et tout le monde connaît un peu tout le monde. Alors, on est rapidement imprégnés de tous les détails sur comment ça s’est passé. Même si on n’était pas là, on nous l’a raconté », affirme la Dre Généreux.
À Amqui, « on a des cercles sociaux, que ça soit le club Richelieu, le club Optimiste, le club de motoneige », constate Sylvie Blanchette. « Même si on ne se connaît pas, on se croise. Il y a un sourire. Il y a un bonjour. »
Depuis lundi dernier, une poignée de résidents d’Amqui dressent une liste écrite des victimes et mènent une enquête frénétique pour connaître leur état de santé et la nature de leurs blessures. À la Cantine Fortier, la « place à déjeuner » de la ville, qui est située à 100 mètres du théâtre du crime, les gens ont la mine basse autour de leur café. Ça discute peu, ça ne rit pas : les habitués parlent à voix basse des blessés, se remémorent les bons souvenirs vécus avec les défunts.
« Il y a toujours quelqu’un qui est touché. Directement ou indirectement », déplore Mme Blanchette.
La directrice des programmes de santé mentale et de dépendance du CISSS du Bas-Saint-Laurent, Claudie Deschênes, a pu constater de visu les sentiments qui affligent les Amquiens depuis qu’un chauffard a enlevé la vie à deux d’entre eux cette semaine. « La taille de l’émotivité collective, elle est plus grande dans une municipalité comme celle-là », convient-elle.
Pour l’ensemble des gens qui ont été ébranlés, qui ne sont pas nécessairement malades, on a besoin collectivement de reconstruire quelque chose.
Mais il n’y a pas que du négatif dans le fait d’être « tissé serré ». Quand le drame a frappé à Lac-Mégantic il y a dix ans, c’est d’abord grâce au sentiment de communauté de ses citoyens que la ville estrienne a pu traverser les mois sombres qui l’attendaient, avance Mélissa Généreux.
« Pour l’ensemble des gens qui ont été ébranlés, qui ne sont pas nécessairement malades, on a besoin collectivement de reconstruire quelque chose, de se redonner un sens, de se réapproprier… L’endroit public, il faut qu’on se sente libre d’y aller, il faut qu’on se sente en sécurité », a-t-elle dit. « La force, c’est que le sentiment d’appartenance est très, très fort. »
Le pouvoir aux gens
Dans un rapport paru en avril 2022 — et cosigné par la Dre Généreux —, la direction régionale de santé publique de l’Estrie recommande notamment aux villes touchées par de telles tragédies de « laisser du pouvoir à la population » et de « ne pas se précipiter dans une reconstruction menée par des instances provenant de l’extérieur ».
À Amqui, le deuil pourrait « durer pendant des mois, le temps de laisser retomber la poussière », affirme Claudie Deschênes. « [Lundi et mardi] encore, on était dans la gestion de crise. Là, on va être dans l’approche du rétablissement, dans le fait de s’assurer qu’on offre des services à tout le monde qui en a besoin. Puis, on va être là aujourd’hui, demain, puis pour les jours à venir, tant aussi longtemps qu’on va avoir des besoins », indique-t-elle.
Dans son rapport sur Mégantic, la Santé publique estrienne souligne l’importance de mettre en avant des « visages connus » dans les mois et même les années qui suivent un drame. La mairesse Colette Roy-Laroche avait joué exactement ce rôle en 2013, avance Mélissa Généreux.
« Il faut surtout donner le pouvoir et la parole aux gens du secteur », dit-elle. « Parce que, quand c’est une grande crise qui semble être appropriée par le gouvernement au niveau national, bien, ces gens-là, ils finissent par se retirer. Puis la communauté, elle trouve ça rough. »
Les chefs de parti, dont François Legault, ont quitté Amqui jeudi, après une courte visite auprès des endeuillés. À mesure que les jours passeront, les caméras et les micros feront de même.
Sylvie Blanchette, elle, ne bouge pas d’un poil. Elle s’affaire à accompagner ses concitoyens dans le deuil, même si, « ce n’était pas dans [ses] descriptions de tâche quand [elle s’est] présentée à la mairie ».
« On est encore dans le “pendant” », souligne la mairesse, mais la reconstruction viendra. D’ici là, elle pourra compter sur quelques mots d’encouragement. Des mots signés Colette Roy-Laroche.
Avec Sébastien Tanguay