Pour la famille de Raïf Badawi, l’espoir malgré tout

Son retour au Canada a été réclamé par des manifestants le jeudi 17 mars 2022, à Montréal.
Photo: Ryan Remiorz La Presse Canadienne Son retour au Canada a été réclamé par des manifestants le jeudi 17 mars 2022, à Montréal.

« On n’est pas réunis comme une famille normale. »

Au téléphone, Ensaf Haidar évoque calmement son mari, qu’elle n’a pas vu depuis plus de dix ans. Cette fin de semaine n’est pas comme les autres. Il y a exactement un an, Raïf Badawi sortait de prison, en Arabie saoudite, après y avoir passé plus de dix ans.

L’espoir était alors à son paroxysme, et plusieurs militants des droits de la personne entrevoyaient déjà l’arrivée de Badawi au Canada, où il aurait pu rejoindre sa femme et leurs trois enfants, établis à Sherbrooke. Mais c’était sans compter l’intransigeance du régime saoudien, qui n’a pas voulu déroger à la deuxième partie de la peine imposée à Raïf Badawi, soit l’interdiction de sortie du territoire pendant une décennie suivant sa remise en liberté.

« Je suis contente qu’il ait le droit de se déplacer, qu’il soit libre, se réjouit Mme Haidar. Même si pour nous, il est libre à 50 %, pas à 100 %. » Celui qui s’est fait connaître grâce à son blogue militant pour les droits de la personne et contre le régime islamique saoudien n’a désormais plus le droit de parler aux journalistes ni de s’exprimer sur les médias sociaux.

Depuis sa sortie de prison, il peut cependant communiquer beaucoup plus facilement avec sa famille. « Les enfants lui parlent par vidéo ou par téléphone, on se parle tous les jours et quand on veut », explique Mme Haidar.

À l’occasion du premier anniversaire de la sortie de prison de M. Badawi, un rassemblement d’une trentaine de personnes a été organisé devant l’hôtel de ville de Sherbrooke samedi. Une mobilisation pour marquer le travail toujours à faire, mais aussi pour souligner l’espoir renforcé depuis un an. « Je me sens libre », clame Ensaf Haidar. « Alors qu’il y a dix ans [lorsque Badawi est entré en prison], on était tristes, on n’avait pas beaucoup d’informations sur lui, on ne lui parlait pas régulièrement… »

L’espoir malgré tout

Si Mme Haidar demeure la voix la plus connue concernant l’histoire de son mari, elle peut compter sur le soutien d’Amnistie internationale, une organisation impliquée dans le dossier depuis plusieurs années.

« On assure un suivi avec M. Badawi comme avec d’autres prisonniers qui ont été libérés, mais qui sont interdits de sortie du pays », explique la directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone, France-Isabelle Langlois.

« Et on continue à mener un combat pour tous les prisonniers d’opinion qui sont encore en prison, comme l’avocat de Raïf Badawi », poursuit-elle. Waleed Sami Abu al-Khair, militant pour les droits de la personne, a été condamné à 15 ans d’emprisonnement en 2014. Sa femme, Samar Badawi, qui est la soeur de Raïf et également militante, a été libérée en 2021, après avoir elle aussi passé plusieurs années derrière les barreaux.

Pour France-Isabelle Langlois, la stratégie afin de favoriser l’arrivée de Raïf au Canada est appelée à évoluer. « Quand il est sorti de prison l’année dernière, il y avait beaucoup d’espoir qu’il puisse venir ici, mais Raïf ne voulait pas qu’il y ait de mobilisation trop ouverte », craignant que cela ne nuise à sa venue au Canada, explique Mme Langlois. « Il misait sur la diplomatie. Le ramadan commençait, et il y a souvent des grâces royales lors du ramadan. »

Il n’en a cependant pas bénéficié. « Un an plus tard, la situation est différente. On espère qu’en faisant plus de bruit, ça mènera à quelque chose », affirme Mme Langlois.

Du bruit, c’est ce qu’espère susciter Ensaf Haidar. Aux quatre coins du monde, s’il le faut. Depuis plusieurs mois, elle participe à la promotion du documentaire En attendant Raïf, qui suit le combat qu’elle mène depuis des années pour ramener son mari auprès d’elle. « On l’a présenté en Allemagne et, le mois prochain, on va en parler au Parlement autrichien, à Vienne. » Au Québec, il est disponible sur Tou.tv dans sa version abrégée.

« Le documentaire, c’est comme un rappel, conclut Mme Haidar. On n’a pas fini notre combat, on est encore loin. On n’est pas réunis comme une famille normale. Mais j’ai toujours l’espoir. »

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