Immigration: un projet pilote de régularisation trop contraignant selon certains

En 2019, un comité parlementaire a recommandé à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada de collaborer avec des intervenants « afin d’examiner les solutions possibles en ce qui concerne les travailleurs de l’industrie de la construction ayant un statut précaire ou pas de statut d’immigrant ».
Photo: Michael Dwyer Associated Press En 2019, un comité parlementaire a recommandé à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada de collaborer avec des intervenants « afin d’examiner les solutions possibles en ce qui concerne les travailleurs de l’industrie de la construction ayant un statut précaire ou pas de statut d’immigrant ».

Ottawa prépare un projet de régularisation des personnes sans statut en s’appuyant notamment sur un projet pilote en cours à Toronto. Mais des intervenants du milieu de l’immigration espèrent que le gouvernement ne s’inspirera pas trop dudit projet, le programme de régularisation des travailleurs de la construction, lancé en 2019, car ils le jugent trop contraignant.

C’est entre autres pour pallier la pénurie de main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction dans la grande région de Toronto qu’Ottawa a lancé un projet pilote visant l’octroi de la résidence permanente à un maximum de 500 travailleurs. En 2019, un comité parlementaire a recommandé à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) de collaborer avec des intervenants « afin d’examiner les solutions possibles en ce qui concerne les travailleurs de l’industrie de la construction ayant un statut précaire ou pas de statut d’immigrant ».

On ne veut pas un nombre limité de bénéficiaires, pas d’exclusion géographique.

Depuis, IRCC a octroyé la résidence permanente à 331 travailleurs de la construction et à 482 membres de leurs familles. Le nombre pourrait maintenant doubler. En janvier, IRCC a annoncé que jusqu’à 1000 travailleurs pourraient en bénéficier, bien que l’atteinte de ce nombre ne soit pas coulée dans le béton : les demandes cesseront d’être acceptées le 2 janvier 2024, et IRCC rapporte n’avoir obtenu que 408 demandes de travailleurs en date du 31 décembre 2022.

De surcroît, le processus de demande est complexe, d’après certains intervenants et la fille d’un travailleur de la construction qui a tiré profit du programme. Ils souhaitent que le programme pancanadien sur lequel travaille le ministère de l’Immigration soit plus simple et ouvert. « On ne veut pas un nombre limité de bénéficiaires, pas d’exclusion géographique », explique Syed Hussan, directeur de l’organisme Migrant Workers Alliance for Change, à Toronto. « J’espère que ce sera plus accessible », indique Sofia Rodrigues, la fille d’un des 331 bénéficiaires.

Un processus ardu

Sofia Rodrigues, 24 ans, est arrivée au Canada avec sa famille à l’adolescence. « On était dans le processus d’obtention de la résidence permanente pendant plusieurs années, mais ça ne fonctionnait pas », dit-elle. Le projet pilote destiné aux travailleurs de la construction semblait « trop beau pour être vrai », son père, José, étant dans l’industrie. Mais la Torontoise a constaté que les critères d’admissibilité étaient stricts : le travailleur devait habiter au Canada depuis au moins cinq ans et être entré au pays légalement, à titre de résident temporaire.

Lorsque José Rodrigues a fait sa demande, IRCC demandait aussi aux demandeurs d’obtenir un résultat de niveau 4 à un test linguistique. « Mon père a obtenu le niveau 3, donc imaginez la frustration : nous respections tous les autres critères, sauf lui », raconte Sofia. Le 30 juillet 2021, Ottawa a finalement décidé de retirer l’exigence du test. José, alors sur une liste d’attente, s’est qualifié. Mais, comble de malchance, Sofia venait d’avoir 23 ans, et les enfants à charge cherchant à obtenir la résidence permanente ne pouvaient avoir plus de 22 ans.

La famille de quatre ne savait pas si elle serait complètement disqualifiée ou si Sofia serait la seule à l’être. Finalement, en juin 2022, toute la famille a obtenu la résidence permanente. « Je n’ai pas de mots pour décrire le sentiment. C’est quelque chose qu’on souhaitait avoir depuis si longtemps, c’était un soulagement », raconte Sofia Rodrigues. « Un poids énorme s’est retiré de nos épaules », dit-elle.

Un programme plus ouvert

Syed Hussan et l’avocat torontois en immigration Macdonald Scott espèrent que les personnes sans statut — qu’on compterait par dizaines de milliers dans la région torontoise — n’auront pas à répondre à autant de critères dans le programme national. Mac Scott, dont deux des clients ont fait une demande dans le cadre du programme pilote, demande par exemple que les personnes ne soient pas exclues si elles ne travaillent pas. Il craint aussi que les sans-statut ayant un dossier criminel soient exclus du programme national, comme c’est le cas pour le projet pilote.

Il souhaite aussi que le programme soit plus simple. « C’est un labyrinthe de documentation, les gens doivent se trouver un avocat, illustre-t-il. Si seulement 408 travailleurs ont fait une demande, c’est en partie en raison de la complexité du processus. » L’avocat torontois souligne toutefois que le retrait du test linguistique devrait entraîner une hausse des demandes, puisque certains employés du milieu de la construction utilisent rarement l’anglais ou le français au travail.

Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.

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