Des initiations «homoérotiques» dans le milieu hypermasculin du hockey
La poursuite d’anciens joueurs de hockey d’âge junior contre la Ligue canadienne de hockey (LCH) a mis en lumière les actes troublants commis par des vétérans. Malgré l’hypermasculinité du sport et l’homophobie qui y circule parfois, plusieurs rituels étaient de nature sexuelle. Un phénomène qui paraît contradictoire, mais qui ne surprend pas des experts de la culture du sport.
Le professeur de l’Université du Manitoba Jay Johnson, qui a longtemps étudié les initiations dans le hockey, a entendu parler « maintes fois » des histoires de nature sexuelle comme celles racontées dans la poursuite. Les rituels sont paradoxaux, note-t-il dans un rapport écrit à la demande du cabinet Koskie Minsky, qui représente les ex-joueurs. « Ils établissent et renforcent l’identité hétérosexuelle par l’entremise de pratiques homoérotiques », observe-t-il.
Les initiations existent dans un espace liminal où les recrues ne sont pas encore membres à part entière de l’équipe, explique Jay Johnson en entrevue. « Dans cet espace, les actions des vétérans sont acceptées puisqu’elles font partie de la psyché de l’équipe », décrit-il. Elles s’inscrivent dans une dynamique de dominance, selon le professeur. « Plusieurs actions seraient considérées comme des actes homosexuels à l’extérieur, mais elles sont “pardonnées” dans cet espace, puisque ce sont les joueurs de première année qui en sont victimes », dit-il.
L’analyse du sociologue québécois Simon Louis Lajeunesse, qui a lui aussi interrogé des athlètes sur leurs rituels dans le cadre de recherches, est quelque peu similaire. Le contexte dans lequel se trouvent les équipes — soit un vestiaire partagé par des dizaines de jeunes hommes parfois nus — favorise l’émergence de rituels. Mais ces actes sont propres à cet environnement. À l’extérieur de la chambre, les jeunes ne reproduiront pas les mêmes actions, dit-il.

Importance pour l’équipe
Le recours à ce type d’initiation est un phénomène complexe. Plusieurs théories sont proposées pour l’expliquer. Les joueurs qui commettent ces actes peinent souvent eux-mêmes à les expliquer, ont constaté Simon Louis Lajeunesse et Jay Johnson. « C’est logé dans leur inconscient. Beaucoup d’entre eux ne peuvent articuler ce qu’ils font », souligne le professeur Johnson.
Les actes pratiqués dans ces initiations permettent d’établir une hiérarchie dans l’équipe, un phénomène semblable à la construction de la masculinité hégémonique, explique Jay Johnson. Celle-ci représente un idéal masculin viril et physique et la subordination des autres hommes et femmes à cette masculinité. Par l’entremise des rituels, les jeunes recrues atteignent un niveau supérieur dans la hiérarchie de l’équipe, cherchant à incarner l’idéal masculin, et obtiennent ainsi le respect de leurs coéquipiers.
Le joueur ne peut refuser d’y participer, au risque d’être ostracisé. « Si vous dites non, vous n’êtes pas un vrai homme », résume Alexis Peters, professeure à l’Université Mount Royal, l’une des premières chercheuses au pays à s’intéresser à la culture du hockey. Même un vétéran, censé faire subir l’abus, est obligé d’y participer, sans quoi il sera ridiculisé. Il s’agit d’un « cycle d’abus », selon Jay Johnson : l’une des promesses de l’adhésion à l’équipe est que la victime pourra faire subir le même sort à ses coéquipiers la saison prochaine.
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Les rituels, s’ils sont faits sans abus, sont « puissants » puisqu’ils créent un lien de confiance entre recrues et vétérans, d’après Jay Johnson. Une cérémonie d’orientation est même un élément important du développement du joueur. Au contraire, les rituels abusifs et humiliants « n’accomplissent pas ces objectifs et fracturent les relations entre joueurs », dit-il.
La symbolique du rituel est « extrêmement forte », observe Simon Louis Lajeunesse. Certains athlètes universitaires en couple, à qui le sociologue a parlé, oubliaient complètement les risques qu’ils faisaient courir à leur partenaire après avoir fait subir des abus sexuels aux nouveaux membres de l’équipe, dit le sociologue. « Ils me regardaient, perdus, et me disaient que les maladies ne sont transmises que par les relations sexuelles. Ils sont limités par l’univers symbolique », poursuit-il.
Masculinité au hockey
La professeure Peters estime que davantage de recherches sont nécessaires pour comprendre le phénomène, quoique ces efforts soient parfois limités par le peu d’ouverture des différentes ligues junior. « Quelqu’un doit aller dans une chambre et demander aux jeunes : “Pourquoi faites-vous ces initiations ?” » dit-elle. « Ce n’est pas comme ça au Danemark ou en Suède, et ce ne sont pas des sociétés aussi patriarcales que la nôtre », mentionne-t-elle.
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Ce texte est publié via notre section Perspectives.
Le modèle du joueur de hockey physique, qui met en échec ses adversaires — en quelque sorte l’idéal masculin hégémonique — est célébré par la société canadienne, souligne Jay Johnson. Jusqu’à tout récemment, les bagarres étaient d’ailleurs permises dans les trois ligues junior au pays. La division québécoise s’apprête maintenant à les interdire. « Si quelqu’un se bat sur la patinoire, tout le monde se lève de son siège », dit-il. Tous les éléments du tissu social devront travailler à redéfinir ce que représente un joueur de hockey pour parvenir à mettre fin aux initiations, qu’elles soient de nature sexuelle ou non, suggère le professeur de l’Université du Manitoba.
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.